Journal d’une école africaine de demain: Claire Hazoumé

Janvier 2017. Je devenais l’administratrice d’une école primaire et maternelle privée, située à Cotonou. 2 rentrées, 46 collaborateurs, 500 élèves, un tympan en moins – le bruit d’une cour de récréation avoisine en décibels celui d’un réacteur d’avion au décollage -, 2 déménagements, quelques nuits blanches, et des milliards de “Tata Claire!” plus tard, je ne suis sûre que de quelques points.

L’école privée n’est pas l’ennemie de l’école publique. Elle est complémentaire. Elle est laboratoire d’idées et de pratiques, qui peuvent à terme bénéficier à tous. Des ponts sont à bâtir, des projets communs à monter. D’ailleurs, et bien que les programmes “français” ou “international” semblent être des arguments commerciaux de taille, notre objectif n’est pas de déserter le programme scolaire béninois, mais d’en proposer la meilleure version, d’y intégrer des pratiques pédagogiques innovantes, tout en amorçant une réflexion collective sur les points de réforme.

L’innovation pédagogique mais aussi organisationnelle est complexe, exigeante en ressources humaines, financières, matérielles et prend du temps

Nous avons dans nos écoles l’opportunité de construire les citoyens de demain, et donc de participer à la réalisation d’un projet de société ambitieux. Nous devons assumer cette responsabilité, nous saisir de ce défi. Ainsi, assurer la qualité – bien lire, écrire, compter – ne suffit plus, nous devons également nous soucier de la pertinence. Cela voudrait dire former à la fois :

  • aux compétences du 21e siècle (collaboration, créativité, communication, etc.);
  • aux transitions sociales, numériques, écologiques;
  • aux savoirs endogènes (langues locales, patrimoine matériel et immatériel…).

L’innovation pédagogique mais aussi organisationnelle est complexe, exigeante en ressources humaines, financières, matérielles et prend du temps. Parfois nous réussissons. Parfois nous apprenons. Souvent, nous ne dormons pas, occupés à tendre le fil entre réalités et vision… ou à corriger des copies.

En 2018, dans notre école, nous avons expérimenté. Les ateliers périscolaires (architecturepatrimoineénergies renouvelables, intelligence émotionnelle, développement durable & médias) nous ont permis d’explorer de nouveaux modules en collaboration avec des experts des différents domaines. Ils ont été l’occasion d’inclusion sociale, puisque systématiquement ouverts à des enfants moins favorisés que les nôtres. L’éducation numérique s’est élargie aux enseignants. Nous avons organisé avec nos partenaires du BloLab un hackathon pédagogique. Un projet de collecte et dons de vêtements a mobilisé enfants, parents et enseignants.

Mon équipe m’a touchée par sa modernité. Mes élèves par leur créativité. Leurs parents par leur générosité. En 2019, les chantiers sont nombreux. Difficiles. Passionnants. Maintenir l’excellence académique; individualiser l’apprentissage; réfléchir à la formation des enseignants aux compétences non traditionnelles; repenser les rythmes scolaires; intégrer aux cursus savoirs endogènes et compétences globales; trouver la bonne méthode de recouvrement des contributions; monter des projets avec/par/pour la communauté scolaire; toujours améliorer notre cadre de vie et d’enseignement; mieux prendre en charge nos élèves quand ils ne sont plus en classe mais toujours dans l’école; définir le modèle économique permettant de combiner qualité, pertinence et accessibilité; mieux communiquer avec les parents d’élèves; manger plus local et plus sain à la cantine; apprendre hors nos murs; animer un débat sur le projet de société que l’on désire, et fatalement le projet d’école qui nous y mène.

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L’école des otages de Kayes

Série “L’interprète” #9
Africa4 revient sur la figure de l’interprète, du traducteur. Cet oublié de l’histoire est en réalité à la pointe des contacts entre les sociétés et un acteur essentiel de l’histoire de l’Afrique et de l’océan Indien entre le XIXe siècle et le XXe siècle.

La toute première implantation d’école des otages au Soudan (Mali) est au fort de Médine bâti aux portes de l’actuelle Kayes en 1855 par les troupes de Faidherbe pour constituer une place avancé face à l’empire d’El Hadj Oumar Tall. C’est depuis cette petite emprise que se développe entre les années 1850 et 1880 la présence français dans l’actuel Mali. Selon les travaux de restauration patrimoniale de de 1997, l’école de Médine aurait ouvert ses portes en 1870. Cette école est directement inspirée de l’expérience de Faidherbe à Saint-Louis.

C’est en 1886, avec Galliéni, que se développe réellement le projet d’école des otages au Soudan. Galliéni, qui a gouverné le Soudan deux ans (1886-1888), a incontestablement été le promoteur des écoles au Soudan, dans le cadre de l’administration militaire de ce territoire. Elles constituent à ses yeux un outil de conquête coloniale. Il crée l’école des otages et fils de chefs de Kayes. Il y place notamment les deux enfants de Mamadou Lamine : Mahdi et Abdoul Massar – plus tard envoyés dans un lycée à Paris pour les éloigner du Soudan. A son départ du Soudan en 1888, on compte sept écoles : Kayes, Bakel, Bafoulabé, Kita, Koundou, Bamako et Siguiri. Si Kayes a l’antériorité et le prestige, force est de constater que tous ces établissements fonctionnent sur le même principe d’école des fils de chefs.

Source : Denis Bouche (Cahiers d’études africaines)

Dans son ouvrage Deux campagnes au Soudan français (paru en 1891 chez Hachette), Galliéni brosse une description de l’école de Kayes : les enfants « étaient logés dans une sorte de grand tata, ayant servi autrefois de demeure à Sidi, le chef du village. L’intérieur comprenait un certain nombre de cases en pisé, où on avait installé le logement des enfants et de leurs surveillants, la cuisine et les dépendances diverses. Les élèves s’étaient confectionnés eux-mêmes leur petit mobilier au moyen de caisse à biscuits et de bois hors d’usage qu’on leur avait abandonnés. » Il poursuit la description du quotidien des élèves : en 1888, ils sont une cinquantaine entre 10 et 17 ans, en pantalon arabe bleu, boubou jaune et fèz rouge sur la tête. L’école de Kayes est alors la tête de pointe d’un réseau, encore balbutiant non seulement en quantité mais aussi en qualité : ces écoles ont pour enseignants…. des militaires, qui sont des vétérans des guerres coloniales plus que des instituteurs. A cela s’ajoute la barrière de la langue, pour laquelle la présence d’interprètes reste fondamentale. Les cours dispensés sont le français, la lecture, l’écriture et le calcul. Mais surtout, en dehors des cours, les interprètes surveillent les élèves pour qu’ils ne parlent pas dans une autre langue que le français.

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