Trois réponses immédiates aux désastres récurrents au Mali et au Burkina Faso

Face à l’ampleur et la récurrence des massacres de civils dans le centre du Mali et dans le nord du Burkina Faso, les urgences sont multiples : apporter une réponse sécuritaire et judiciaire à la fois ferme et ciblée, repenser le dispositif sécuritaire et contrer l’entreprise de démolition du vivre ensemble menée par les jihadistes et autres entrepreneurs du chaos.

Les massacres se suivent à un rythme effrayant au centre du Mali et au nord et à l’est du Burkina Faso. L’ampleur de la violence se manifeste autant par le nombre de victimes – désormais une vingtaine au moins à chaque attaque d’un village – que par les formes précises prises par la violence.

Les expéditions meurtrières de ces derniers mois n’épargnent ni femmes ni enfants ni personnes très âgées. Les assaillants recourent autant aux armes à feu qu’aux armes blanches. On brûle les cases et les familles qui y sont terrées et on abat ceux qui tentent de fuir. Parmi les 35 morts de l’une des dernières tragédies en date au centre du Mali, l’attaque du village de Sobane le 10 juin dernier, il y avait 24 enfants.

Proclamer que des Maliens ou des Burkinabè ne peuvent pas, ou ne pouvaient pas il y a encore quelques années, infliger ce genre de violences à des concitoyens ne change rien à la situation et n’aide point à trouver des réponses. Aujourd’hui, que cette violence soit alimentée par des acteurs étrangers à ces deux pays ou pas, qu’elle soit manipulée par d’odieuses mains invisibles ou pas, tout cela ne change rien au fait que le Mali, le Burkina Faso et toute la région ouest-africaine, sont en danger.

Alors, au-delà des critiques virulentes justifiées que l’on peut faire sur l’extrême faiblesse de ces deux États et la responsabilité écrasante de leurs dirigeants actuels et passés, que peut-on faire ? Que doit-on faire à court terme ?

Nécessité d’une réponse sécuritaire et judiciaire vigoureuse et ciblée

IL FAUT EN FINIR AU PLUS TÔT AVEC LES ANALYSES EN TERMES DE VIOLENCES « INTERCOMMUNAUTAIRES » QUI DILUENT LES RESPONSABILITÉS INDIVIDUELLES DES CRIMINELS

La première urgence est à la fois sécuritaire, politique et judiciaire. Elle doit consister en une réponse musclée sur le terrain, dans les zones concernées par les pires attaques de populations civiles au Mali et au Burkina Faso.

Il faut être extrêmement clair sur le fait que les auteurs et complices des attaques comme celles de Sobane, d’Ogossagou, de Kolougon au Mali, de Yirgou ou d’Arbinda au Burkina Faso, au moins quelques-uns d’entre eux, doivent être recherchés, arrêtés en vue d’être jugés…, ou « neutralisés » s’il n’y a pas d’autre option, pour reprendre la formule diplomatique des militaires. Dans un environnement aussi dangereux, le travail de la justice ne peut évidemment pas se faire sans l’accompagnement de forces de sécurité armées.

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Comment la Guinée-Bissau et la RDC sont devenues des plateformes internationales de commerce de la drogue

Renversements de gouvernements, fragilisation des états, rébellions ethniques, corruption généralisée… Le narcotrafic est impliqué dans presque toutes les difficultés géopolitiques que connaissent les gouvernements africains. Pour en faire la démonstration, nous étudierons trois exemples emblématiques.

La Guinée-Bissau, le premier des narcos-États africains

La Guinée-Bissau possède toutes les qualités susceptibles d’attirer les narcos sud-américains. Elle se trouve à la distance la plus courte du Venezuela et possède un archipel somptueux (les Bijagos) au large de Bissau, constitué d’une myriade de petites îles pouvant facilement être aménagées en ports clandestins ou en pistes d’atterrissage secrètes. Son PIB la classe parmi les pays les plus pauvres de la planète (vingt-deuxième au dernier recensement). Les forces de sécurité sont démunies et peu formées. 

Un véritable paradis pour cartels sud-américains. 

D’ailleurs, ils n’ont pas tardé à débarquer en force. Vers 2005, l’essentiel de l’attention des services de sécurité internationaux était tourné vers le Cap-Vert, principale base de rebond de la cocaïne vers l’Europe. En quelques mois, Bissau a détrôné Praia comme capitale des narcos, et ce, pour son plus grand malheur. Malgré un manque de moyens qui serait risible s’il n’était tragique, les directeurs de la police judiciaire successifs (Orlando da Silva et Lucinda Barbosa Ahukarié, que j’ai eu la chance et l’honneur de rencontrer) ont fait preuve, tous deux, d’un courage exceptionnel en réalisant des saisies de coke remarquables – ce qui a valu à Orlando da Silva d’être limogé et à Lucinda Barbosa Ahukarié de démissionner en 2011 en raison de menaces graves contre sa vie et celle de ses proches. Dans ce pays en déliquescence, les militaires ont clairement joué le rôle de soutien logistique aux narcos sud-américains. Ils ont pourvu à l’approvisionnement en carburant des avions des trafiquants se posant dans les Bijagos ; ils ont procédé à l’acheminement de la cocaïne jusqu’à des entrepôts dont ils ont assuré la garde. 

Cette implication de l’armée dans le narcotrafic va entraîner des troubles graves, difficilement imaginables en Occident. En mars 2009, le général Tagmé Na Waï, chef d’état-major des armées, a été assassiné lors de l’explosion d’une bombe. Ses partisans, furieux, se sont rendus au domicile du président de la République, Nino Vieira, qu’ils ont criblé de balles, puis achevé à la machette. Les deux victimes étaient régulièrement citées comme étant impliquées dans le trafic de cocaïne. Elles se seraient livré une guerre pour la conquête des faveurs des Sud-Américains. Certains prétendent même que les deux hommes auraient été éliminés à la demande des cartels. Les deux derniers protagonistes de ces affaires ont été également supprimés. Le premier, l’ancien ministre de la Sécurité Baciro Dabo, régulièrement cité comme étant un narco accompli, a été exécuté par des militaires. 

Le second, le contre-amiral Bubo Na Tchuto, chef de la marine, était ciblé depuis longtemps par l’agence antidrogue américaine, la DEA. En 2013, les agents américains ont tendu un piège au chef de la marine bissau-guinéenne : il aurait repris les activités lucratives de narcotrafic de Nino Vieira. Les Américains se sont fait passer pour des membres d’un cartel voulant commercer avec le chef de la marine et lui ont donné rendez-vous sur un yacht, en pleine mer. Il ne restait plus qu’à emballer le « colis » et l’envoyer aux états-Unis, où il a été jugé et condamné à une peine bien légère de quatre ans de détention. La modestie de la sanction et le fait que le contre-amiral a été libéré en octobre 2016 laissent imaginer que Bubo Na Tchuto a coopéré avec les fédéraux américains. À son retour triomphal en Guinée-Bissau, il a réclamé sa réintégration comme chef des armées, mais en vain. Le trafic était dans d’autres mains.

La République démocratique du Congo  et l’or vert du cannabis

L’Afrique centrale n’est jamais devenue une zone de transit pour la cocaïne et pour l’héroïne comme l’ont été et le sont encore l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud. Cela, malgré la faiblesse des dispositifs de contrôle des frontières. En fait, il n’y a aucun intérêt pour les narcos à utiliser cette zone du continent, mal desservie au niveau aérien et dénuée des infrastructures de base essentielles au trafic de stupéfiants. Il existe cependant un trafic de cannabis régional trouvant son origine en République démocratique du Congo et qui contribue grandement à l’instabilité chronique et meurtrière de l’Afrique centrale. 

L’est de la RDC est gangréné par des groupes armés incontrôlés. Les viols de masse, la traite des enfants soldats, les trafics de minéraux et de stupéfiants maintiennent le Congo oriental dans un chaos qui profite seulement aux groupes armés. On citera principalement les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), une milice ethnique hutue née durant le génocide rwandais de 1994, génocide qui a provoqué l’exil de centaines de milliers de réfugiés sur le territoire de l’ex-Zaïre. Ce groupe est composé d’anciens militaires génocidaires, d’ex-miliciens, mais également de civils. Il s’est implanté dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema grâce à la bienveillance de Laurent-Désiré Kabila. Cette passivité a pris fin en 2003 avec Joseph Kabila, qui a mené plusieurs offensives contre la milice hutue. On notera que les principales zones de production du cannabis en Afrique centrale sont situées dans le grand nord du Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu, zone d’influence des FDLR. 

Un second groupe criminel, une milice nommée Maï-Maï Sheka composée d’anciens combattants, de déserteurs et d’anciens mineurs, s’est fait pour spécialité de « libérer » les mines qui étaient tombées sous le contrôle de l’armée nationale. Mais rapidement, leur réelle sphère d’activité s’est déplacée vers le viol de masse, le pillage en coupe réglée, l’enlèvement d’enfants recrutés pour devenir soldats et le trafic de cannabis.

Extrait du livre “Africa connection, la criminalité organisée en Afrique”, sous la direction de Laurent Guillaume, publié aux éditions La Manufacture de livres.

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