Le nationalisme banal de la France d’Astérix

Par VINCENT HIRIBARREN

Ce blog a été publié sur http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2016/11/23/le-nationalisme-banal-de-la-france-dasterix/


Le 28 août 2016, François Fillon candidat à la primaire des Républicains a suggéré que la colonisation française en Amérique, en Afrique et en Asie revenait à un « partage de culture ». Évidemment, il s’agissait de se dédouaner de toute responsabilité et de n’afficher aucune culpabilité. Encore une fois le discours contre la repentance. Vu, entendu, lu et relu.


Ressorti à l’occasion de la victoire surprise de Fillon au premier tour de la primaire, ce discours a connu son flot de dénonciations légitimes. La liste pourrait être (très) longue mais Fillon ne s’embarrasse pas de la question de l’esclavage, de la conquête militaire des colonies, du travail forcé, de la conscription, des guerres de décolonisation… Quiconque ouvrirait un livre d’histoire ou se rendrait dans une ancienne colonie française verrait bien les effets actuels de ce « partage ». Il est certain que les descendants des colonisés mais aussi les Guyanais, Martiniquais, Guadeloupéens, Canaques et toute la diaspora issue de l’ancien empire colonial en France apprécieront.

On pourrait montrer que la colonisation n’était vraiment pas un partage de culture avec une simple analyse des chiffres de scolarisation dans les colonies. On pourrait aussi constater que l’image véhiculée par Fillon reprend un discours particulièrement développé après la 2e guerre mondiale par les Européens afin de justifier leurs investissements massifs dans l’empire colonial. La mémoire de cette période coloniale tardive a ainsi tendance à occulter tout le reste de la période coloniale.

Seulement la question n’est pas là. Fillon n’est pas étudiant en fac d’histoire et n’a pas de partiel à rédiger sur les conséquences humaines, environnementales, économiques, sociales et culturelles de la période coloniale française. Fillon est un politicien qui tire sur la corde du nationalisme français la plus éculée. Cette vision aussi vague qu’erronée du colonialisme français est un simple instrument visant à s’attirer les votes d’un électorat désireux de ne pas ternir l’image d’une certaine France.

Tout argument basé sur des faits historiques ne peut pas convaincre quand un certain sentiment national français, lui, rapporte des voix. Certains candidats de la droite conservatrice voire extrême retireront même un certain plaisir à voir des associations, des historiens, des journalistes et des politiciens souligner l’incohérence de ce type de discours. Après tout, ceux qui votent aujourd’hui ne vivent plus dans cet empire colonial. En bref, tout contradicteur perd son temps et toute polémique bénéficie même à celui qui la déclenche.

C’est pourquoi, la campagne présidentielle qui s’annonce va sans doute aucun connaître d’autres élans nationalistes comme celui de Fillon. La France d’Astérix a grand besoin de ce genre de débats faussement historiques et réellement politiques. La verve nationaliste a largement plus de poids qu’une discussion historique posée tant ce nationalisme sert à occuper le champ politique dans l’espace mais aussi le temps. L’ancien ministre de l’éducation qu’est Fillon le sait sûrement et il compte dessus.

Et pour cause. Les politiciens ne sont pas les seuls à verser dans ce grand récit/roman national. Les historiens ont eux aussi leur part de responsabilité. Que ce soit Fernand Braudel avec L’identité de la France ou Pierre Nora et ses Lieux de Mémoire, le cadre mental d’un citoyen français s’inscrit, pour certains auteurs, forcément dans un territoire français bien défini. D’autres historiens ont pourtant travaillé à examiner cette histoire postcoloniale et les 30 dernières années ont connu un renouveau sur les conséquences de la colonisation que ce soit dans les anciennes colonies ou en métropole. Ces derniers auteurs peinent pourtant à être entendus.

Dans cette France rêvée, tout revient à ce nationalisme banal théorisé par l’historien Michael Billig. Ce n’est plus le nationalisme sanguinaire ou dévoyé de la première moitié du XXe siècle et de Vichy en particulier. Il s’agit plutôt d’un nationalisme de tous les jours où toute occasion est bonne pour afficher des drapeaux, chanter la Marseillaise ou enchainer les cérémonies de commémoration. Le « partage des cultures » de Fillon s’inscrit largement dans cette tendance qui transforme un discours pseudo-historique en un simple message subliminal sur la grandeur de la France. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Anciens tirailleurs sénégalais demandent nationalité française

Comme Ndongo Dieng et d’Alioune Mbodji, un millier d’ex-soldats de l’Empire colonial ayant combattu pour la France attendent leur naturalisation.
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Les Sénégalais Ndongo Dieng, 81 ans, et Alioune Mbodji, 85 ans, ont tous deux combattu pour la France.
Les Sénégalais Ndongo Dieng, 81 ans, et Alioune Mbodji, 85 ans, ont tous deux combattu pour la France. CRÉDITS : DR

« Je ne comprends pas pourquoi on n’a pas la nationalité française, on est nés français, on a combattu pour la France ! » Ndongo Dieng, Sénégalais, 81 ans, scrute des photos d’une cérémonie officielle de Bondy à laquelle il participait, en juin 2016, en tant qu’ancien combattant français. « Tous les ans, on y dépose une gerbe, nous, les tirailleurs. » Aujourd’hui, celui qui était colonel dans l’Algérois est logé dans un 17 mètres carrés du foyer social de la ville, et touche 335 euros par semestre.

A côté de lui, Alioune Mbodji, 85 ans, Sénégalais et ancien sergent dans l’armée française. « Cette médaille, c’est l’Indochine, en 1953. Celle-là, l’Algérie, en 56… Les autres, c’est quand je suis rentré au Sénégal. » La tête baissée vers ses médailles qu’il accroche fièrement à sa veste dès qu’un visiteur lui rend visite, le « vieux Mbodji » raconte avec le sourire ses onze ans passés au sein de l’armée française. « En Indochine, j’ai été blessé à la jambe, on a dû me rapatrier », raconte-il chéchia vissée sur la tête et boubou vert à encolure dorée sur les épaules. Rapatrié où ? « En France ! Nous sommes français, non ? »

« Décristallisation » des pensions

Français, le vieux Mbodji l’est de cœur. Il se sent « comme d’un père sénégalais et d’une mère française ». Mais lorsqu’il en demande la nationalité, en 1998, on la lui refuse au motif que sa femme et sa famille vivent au Sénégal. « Mais je ne peux pas les faire venir ici, le studio dans lequel je suis ne le permet pas, et je ne peux payer un plus grand logement. » Ndongo Dieng reprend la parole : « Si on est rentrés à ce moment-là, c’est que le bruit courait au Sénégal que Jospin allait changer notre statut. » La même année, le premier ministre Lionel Jospin émet en effet publiquement le vœu que ces soldats réintègrent la « mémoire collective nationale ». Effet d’annonce sans suite. Il faudra attendre 2007 et Nicolas Sarkozy pour que la situation des tirailleurs change, avec la « décristallisation » des pensions, qui donne aux anciens combattants des colonies les mêmes retraites que les anciens combattants français. Mais toujours pas de naturalisation.

Aujourd’hui, Alioune Mbodji et Ndongo Dieng attendent, dans leur foyer de Bondy, en banlieue parisienne. Rentrer au Sénégal et vivre leur retraite en famille ? Cela serait perdre la pension qu’ils touchent ici, pour beaucoup leur principale source de revenus. Alors, ils restent en France, seuls, racontent leurs histoires à qui veut les entendre, et mènent ce combat pour la naturalisation, sans doute leur dernier, avec Aïssata Seck.

Des tirailleurs sénégalais lors d’une cérémonie de commémoration à Dakar, en novembre 2014.

Cette dernière est maire adjointe à Bondy chargée des anciens combattants, elle-même petite-fille d’un tirailleur. « A force de voir les refus individuels qui s’enchaînaient, j’ai décidé de lancerune action collective, raconte-elle dans les rues de Bondy, au volant de sa voiture. Aujourd’hui, c’est très symbolique pour eux, ils ont tous plus de 75 ans, et ce n’est même plus une question d’argent depuis que les pensions ont été décristallisées» Alors, la Franco-Sénégalaise écrit une pétition avec les tirailleurs, qui sont une trentaine dans la commune. « Les gens sont tous surpris qu’ils n’aient toujours pas la nationalité et, pour les tirailleurs, c’est un petit grain dans la machine qui fait mal au cœur. »

Ces anciens tirailleurs sénégalais seraient environ 500 en Ile-de-France, le double dans l’Hexagone. « Donc c’est vraiment du symbole, ça ne coûterait rien de les naturaliser », répète Aïssata Seck. Avant d’ajouter, après un silence : « Et puis ça ferait pas de mal, vu le climat social actuel. » Sa pétition a vite rencontré un large succès. D’abord, le député de Seine-Saint-Denis et président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui avait déjà reçu en 2014 les tirailleurs de Bondy au palais Bourbon. Ensuite, Jamel Debbouze, acteur du film Indigènes, que la maire adjointe est allée chercher au Jamel Comedy Club, « et qui a accepté tout de suite. Il a voulu s’engager très vite ». Mais aussi l’acteur Omar Sy – dont le père est sénégalais –, le journaliste cofondateur du site d’informations Rue89, Arnaud Aubron, le directeur de l’Institut Montaigne, Laurent Bigorgne, les députés Cécile Duflot, Alexis Bachelay, Olivier Véran…

« La justice, tout simplement »

« Nous avons bon espoir », explique Alioune Mbodji en hochant la tête, dans une affirmation que confirme à l’unisson la maire de Bondy, Sylvine Thomassin : « Franchement, s’il y a la volonté politique, il n’y a aucune raison que leur naturalisation ne se fasse pas rapidement. » Et son adjointe d’ajouter, confiante : « On m’a dit que la pétition était remontée jusqu’à François Hollande. »

Les deux « dogues noirs de l’Empire » de Bondy, comme se plaisait Léopold Sédar Senghor à surnommer les tirailleurs, eux, n’en démordent pas. « Notre problème n’est pas un problème de naturalisation mais de réintégration, on a été français plus de trois cents ans », martèle l’ancien colonel Dieng, qui raconte, comme s’il y était et avec fierté, la bataille de Saint-Louis qui, en 1758, opposa le royaume de France de Louis XV au royaume d’Angleterre de George II, et à laquelle il affirme que, pour la première fois, des Sénégalais combattirent pour la France.

Lire aussi :   Peut-on « décoloniser » la pensée africaine en se réunissant à l’Institut français de Dakar ?

En visite officielle au Sénégal, le ministre des affaires étrangères français Jean-Marc Ayrault a rappelé, jeudi 10 novembre, le « devoir d’égalité, le devoir de reconnaissance » de la France à l’égard de ses anciens tirailleurs. Au cimetière de Thiaroye, en banlieue de Dakar, où 35 tirailleurs sont inhumés, M. Ayrault a fustigé la « repentance » et en a appelé à « la justice, tout simplement ».

Aujourd’hui, jour de célébrations du 11-Novembre, auxquelles les anciens tirailleurs de Bondy, comme chaque année, participent, Ndongo Dieng espère que la pétition, qui a d’ores et déjà rassemblé plus de 2 500 signatures, fera changer les choses pour qu’enfin, il puisse se dire français.

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