Côte d’Ivoire : une illusion de stabilité

Théodore Golli

Au sein de l’opinion internationale, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui perçue comme un modèle de réussite économique. Le pays a été pendant la décennie 2000 l’objet de toutes les attentions en raison de la crise militaro-politique qu’elle a connue. Un contraste qui fait qu’elle suscite l’admiration des uns et l’inquiétude des autres.

Aux origines de l’instabilité

Depuis son accession à l’indépendance, le 7 août 1960, la Côte d’Ivoire a d’abord connu une croissance économique fulgurante de 1960 à 1980 ayant pour conséquence l’émergence d’une classe moyenne avec un fort pouvoir d’achat avant de connaitre une période de ralentissement économique où la pauvreté s’est accrue. Le Produit intérieur brut (PIB) de ce pays d’Afrique de l’Ouest était au même niveau que celui de la plupart des dragons d’Asie (Corée du Sud, Singapour, la Malaisie, etc.). Son économie basée sur le « binôme café-cacao » a fait l’objet de convoitise, ce qui n’a pas manqué d’attirer les ressortissants des pays voisins, particulièrement ceux du  Burkina Faso et du Mali.

Tant que cette embellie économique profitait à tous, tout semblait aller pour le mieux. Les populations cohabitaient sans se soucier en majorité des origines des uns et des autres. Mais c’était sans compter avec la crise de 1980 qui entraîna la chute brutale du cours des matières premières. Cette situation va plomber l’économie du pays car les dirigeants étaient mal préparés et ne semblaient pas avoir planifié et anticipé cette crise. Des revendications vont donc commencer à surgir tant sur le plan politique que sur le plan social. La rareté des ressources va conduire à l’éclosion de conflits sociaux et des révoltes intercommunautaires, alimentés par des discours politiques.

Ces crises vont créer un repli identitaire. Naît ainsi un clivage ethno-régionaliste, qui semble ne pas être pris en considération par le pouvoir

En réalité, la marche de la Côte d’Ivoire de l’accession à l’indépendance à la crise des années 1980 n’a pas du tout été sans encombre. On peut citer les deux crises majeures qui hantent encore l’esprit de bon nombre d’Ivoiriens : la crise du Sanwi (1959-1973) et celle du Guébié (1970). En effet, au lendemain de l’indépendance, les régions du Sanwià l’Est et du Guébié au Centre-Ouest ont eu chacune une volonté de sécession. Malheureusement, le dialogue n’a pas été privilégié lors de ces deux crises, le plus fort ayant pris le dessus. Des blessures mal cicatrisées demeurent toujours.

Ces crises vont créer un repli identitaire. Naît ainsi un clivage ethno-régionaliste, qui semble ne pas être pris en considération par le pouvoir. Dans ces zones, malheureusement, est véhiculé un discours tendant à faire croire que l’ethnie du tenant du pouvoir est privilégiée dans toutes les fonctions étatiques et, de ce fait, s’accapare toutes les richesses du pays et tend à exproprier les autres peuples de leur terre, voire de leur richesse.

Cette situation va coïncider avec la naissance de partis politiques à base régionaliste. Cela ne va pas s’améliorer avec la vague de démocratisation qui a consacré le multipartisme dans les années 1990. S’ensuit des moments de grèves et de violences. Le pouvoir d’Abidjan peine à calmer la situation. La crise économique s’accentuant et sous l’impulsion des institutions de Bretton Woods, le président Félix Houphouët Boigny se voit contraint de nommer un Premier ministre chargé de mener des réformes pour relever l’économie.

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Côte d’Ivoire : l’obsession de la rechute

Alors que l’échéance présidentielle de 2020 se rapproche en Côte d’Ivoire, la montée des tensions et l’exacerbation des invectives politiques inquiètent.

Ce 7 mars, avant de quitter Abidjan, j’ai acheté huit quotidiens ivoiriens couvrant le spectre des tendances politiques du pays. Dans le quotidien Le Nouveau Réveil, Henri Konan Bédié, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), se félicitait du « mépris » avec lequel les émissaires du président Alassane Ouattara avaient été accueillis en pays baoulé.

Dans le quotidien pro-gouvernemental Fraternité Matin, Kobenan Kouassi Adjoumani, porte-parole du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), répondait en accusant le même Bédié d’avoir tenu « des propos haineux, tribalistes et choquants » et de vouloir « créer une ségrégation entre les Baoulés ».

Du côté de Notre Voie, le journal historique du parti de Laurent Gbagbo, le titre était explicite : « Non respect des engagements de campagne en 2010 : Comment Ouattara a berné Bédié et les chefs traditionnels Baoulés ».



Un retour en arrière

En Côte d’Ivoire, il n’y a jamais eu de prétention pour la majorité des journaux à donner une information objective, sans parti pris politique. Les nombreuses années durant lesquelles je séjournais régulièrement en Côte d’Ivoire, dans le cadre de mes missions comme analyste politique, je m’imposais cette routine : lire tous les quotidiens de la presse ivoirienne, reflets des positions, des intentions, des stratégies de chaque camp.

En parcourant les éditions du 7 mars 2019, à quelques heures d’un moment politique important – l’élection d’un nouveau président de l’Assemblée nationale après la démission de Guillaume Soro -, j’eus le sentiment que rien, absolument rien, n’avait changé dans les pratiques politiques du pays. Ni dans celles des médias.

C’EST COMME SI LES POLITIQUES IVOIRIENS S’ÉTAIENT ENTENDUS POUR RÉUNIR DE NOUVEAU LES CONDITIONS NÉCESSAIRES À UNE MONTÉE DES TENSIONS

Ceux qui ont vécu les batailles politiques des années 1994-2000, opposant frontalement Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, ont sans doute, eux, le sentiment d’être revenus plus de vingt ans en arrière. Retour des maux qui ont fait tant de mal à ce pays : ivoirité, accusations et contre-accusations d’exclusion sur la base de l’identité, violences verbales, alliances et ruptures d’alliances politiques accompagnées de mobilisation sur la base ethnique et régionale, instrumentalisation des autorités traditionnelles…

C’est comme si les politiques ivoiriens s’étaient entendus pour réunir de nouveau les conditions nécessaires à une montée des tensions, puis à un recours à la violence en perspective de 2020, année de la prochaine élection présidentielle.

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