En Algérie, les décideurs de l’ombre

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a annoncé sa démission. Élu en 1999, il ne briguera donc pas un cinquième mandat, pas plus qu’il ne prolongera le quatrième qui aurait du se terminer le 28 avril prochain. Pour les Algériens qui manifestent en masse depuis le 22 février, c’est une première victoire. « Mais,soulignent Akram Belkaïd et Lakhdar Benchiba, les protestataires, qui défilent s’en prennent aussi à son entourage, notamment à ses deux frères, Saïd et Nacer Bouteflika. Ils exigent la fin du régime et l’avènement d’une deuxième république, certains réclamant une Assemblée constituante. »Alors que le pays s’engage dans une transition incertaine, la question de savoir qui décide vraiment à Alger reste posée.

Depuis le 22 février, l’Algérie connaît de façon répétée des manifestations populaires de grande ampleur contre le pouvoir. Le mouvement est historique : jamais, depuis l’indépendance en juillet 1962, le pays n’a été en proie à une telle contestation, à la fois pacifique et répartie sur l’ensemble du territoire, villes du Sud comprises.

Chaque vendredi, premier jour du week-end, des cortèges de centaines de milliers de personnes se forment dans les rues, réunissant toutes les classes d’âge, en particulier la jeunesse, qui, jusque-là, se désintéressait de la politique. Les autres jours, l’élan se maintient, avec des sit-in et des marches catégorielles (avocats, étudiants, universitaires, journalistes, retraités de la fonction publique, etc.). Le mot d’ordre, unanime, est d’abord le refus du maintien au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, dont le quatrième mandat s’achève le 28 avril. Mais les protestataires, qui défilent aux cris de « Silmiya » (« [Manifestation] pacifique »), s’en prennent aussi à son entourage, notamment à ses deux frères, MM. Saïd et Nacer Bouteflika. Ils exigent la fin du régime et l’avènement d’une deuxième république, certains réclamant une Assemblée constituante. En face, les forces de l’ordre ont adopté durant les premières semaines une attitude conciliante, des policiers et des gendarmes allant jusqu’à fraterniser avec la foule.

Quant à M. Abdelaziz Bouteflika, il se tait. Impotent et aphasique, le locataire de la résidence d’État médicalisée de Zeralda ne s’est plus exprimé en public depuis 2014, et les confidences de plusieurs hauts responsables valident la thèse de son incapacité à diriger.

De retour de Suisse, où il s’était rendu début février pour des « examens de santé périodiques », il s’est tout de même adressé aux Algériens par le biais de lettres, s’engageant à ne pas briguer un cinquième mandat tout en annulant le scrutin présidentiel du 18 avril. Une annulation qui prolonge de facto, et pour une période indéterminée, son quatrième mandat, en (…)

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Hébétude de la gauche algérienne

L’élection présidentielle algérienne aura lieu le 18 avril prochain. Si les candidatures ont fleuri dès la convocation du corps électoral, l’hypothèse d’une alternance politique demeure peu probable. L’opposition au régime — en place depuis l’indépendance, en 1962 — est plus fragmentée que jamais. La gauche marxiste, marginalisée depuis les années de guerre civile, a du mal à retrouver son influence passée.

La gauche anticapitaliste existe toujours en Algérie »,affirme Ihsane El Kadi. Il nous accueille dans un appartement de style haussmannien du centre d’Alger abritant les bureaux de médias qu’il dirige, parmi lesquels le site Maghreb émergent. Ancien étudiant en sciences économiques à l’université d’Alger, ce journaliste et éditeur de presse électronique a participé au « printemps berbère » de 1980 . Cet engagement l’a mené en prison, mais aussi au militantisme clandestin au sein du Groupe communiste révolutionnaire (GCR), un courant formé en 1974 par des syndicalistes et des étudiants pablistes — du nom de Michalis Raptis, dit « Pablo », leader trotskiste d’origine grecque qui apporta un soutien au Front de libération nationale (FLN) durant la guerre d’Algérie (1954-1962) et qui devint par la suite conseiller du président Ahmed Ben Bella. En 1989, le GCR est devenu le Parti socialiste des travailleurs (PST). Celui-ci est aujourd’hui dirigé par M. Mahmoud Rechidi, un ancien de Debza, troupe théâtrale proche de l’écrivain et dramaturge Kateb Yacine (1929-1989).

Alger, « Mecque des révolutionnaires » ?

El Kadi précise que la gauche radicale ne se situe pas forcément dans l’opposition : « Les anticapitalistes peuvent s’aligner sur le pouvoir, à l’exemple du Parti des travailleurs [PT] dirigé par Louisa Hanoune. » Cette ancienne militante féministe, emprisonnée par le régime de Chadli Bendjedid dans les années 1980, est aujourd’hui à la tête de l’autre parti trotskiste algérien. Elle « désapprouve toutes les mesures de marchandisation ou d’entrée de l’Algérie dans la mondialisation », rappelle notre interlocuteur, mais elle ne s’est jamais élevée « contre les quatre mandats successifs [d’Abdelaziz] Bouteflika ».

De l’indépendance, en 1962, à l’instauration du multipartisme, en 1989, l’Algérie a vécu sous le régime du parti unique, le FLN, qui reléguait toutes les autres formations dans la clandestinité. La gauche était alors animée par des organisations (…)

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