Que fait l’armée française au Tchad ?

Les bombardements de l’opération «antiterroriste» Barkhane menée par l’armée française s’inscrivent dans la longue histoire des ingérences dans cette ancienne colonie. Une aubaine pour le président Idriss Déby.

Entre le 3 et le 6 février, l’armée française a bombardé une colonne de rebelles tchadiens qui avaient quitté leur base arrière en Libye et s’enfonçaient en territoire tchadien. L’état-major de l’armée a communiqué sur ces frappes menées par des Mirage 2000, appuyés par un drone Reaper. Les autorités tchadiennes se sont félicitées de la coopération entre les deux armées et de la «neutralisation» des rebelles. On ignore le nombre de victimes : il n’y a pas de journalistes dans la zone des bombardements.

Le plus important déploiement français

Ces frappes n’ont rien d’exceptionnel si l’on considère l’histoire longue des ingérences dans cette ancienne colonie française. Le Tchad est le pays d’Afrique qui a connu le plus grand nombre d’interventions militaires depuis l’indépendance. Les formes et les justifications de la présence militaire française ont certes changé. Dans les années 60 et 70, les Français menaient une véritable guerre contre-insurrectionnelle contre les troupes du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat). Les opérations extérieures qui se sont ensuite succédé ont privilégié des moyens aériens. En dépit des changements de contexte historique, il y a une constante : le soutien aux régimes en place au nom de la nécessaire «stabilité» du pays et la construction de cet espace en «verrou stratégique». L’opération Epervier avait ainsi été mise en place en 1986, quand Hissène Habré était vu par la France et les Etats-Unis comme l’allié indispensable dans la politique de containment de la Libye de Kadhafi. L’opex est restée longtemps après la résolution du conflit tchado-libyen et la fin de la guerre froide. Elle n’a pris fin qu’en août 2014… quand elle a laissé la place à une autre opération extérieure : Barkhane. Barkhane est le prolongement d’Epervier au Tchad et de Serval au Mali. Avec environ 4 500 militaires déployés dans cinq pays du Sahel, Barkhane, qui a installé son poste de commandement dans l’ancienne base d’Epervier, est actuellement le plus important déploiement français en opération extérieure.

Ce n’est pas la première fois qu’Idriss Déby, qui a lui-même pris le pouvoir par les armes en 1990 (avec le soutien de la France !), fait face à une rébellion. Les rebelles sont parvenus à deux reprises jusqu’à la capitale : en avril 2006, puis en février 2008. Le soutien apporté alors à Idriss Déby était plus discret : renseignement pour l’armée tchadienne, vol en basse altitude au-dessus de la colonne rebelle, coups de semonce, contrôle de l’aéroport (l’évacuation des ressortissants en 2008 ayant le redoutable avantage de protéger un point stratégique pour l’armée tchadienne). En 2019, l’armée française ne se contente cependant plus de créer des conditions favorables à une victoire de l’armée tchadienne : elle bombarde elle-même les rebelles.

Une opération antiterroriste contre des rebelles ?

L’objectif de Barkhane n’est pas la protection d’Idriss Déby mais la «guerre contre le terrorisme» au Sahel et au Sahara. Or, ici, les cibles étaient des opposants armés dont l’agenda est la prise du pouvoir à N’Djamena. Les rebelles tchadiens n’ont rien de gentils démocrates : on peut leur reprocher le choix des armes comme leur proximité passée avec Idriss Déby. Le chef de l’Union des forces de la résistance (UFR), Timan Erdimi, qui est par ailleurs un cousin du président, était proche du pouvoir avant sa défection en 2004. L’UFR n’a cependant pas grand-chose à voir avec les groupes armés qui, dans le Sahel et le bassin du lac Tchad, ont fait allégeance à Al-Qaeda ou Daesh. Que fait Barkhane dans cette affaire politique tchadienne ? Les rebelles tchadiens avaient trouvé refuge dans le Sud libyen (l’intervention armée en Libye menée par les Français en 2011 étant un des plus gros scandales de la présidence de Nicolas Sarkozy), mais leur but est la présidence à N’Djamena et non la diffusion d’une quelconque idéologie à l’échelle régionale. Pour le dire vite, ils sont des combattants armés qui reprennent les méthodes employées par Idriss Déby lui-même quand il a renversé Hissène Habré en 1990. A moins de considérer que tout ce qui peut aider Déby relève de la lutte contre le terrorisme, on ne voit guère de liens entre ces frappes et la raison d’être de Barkhane. D’un point de vue légal, l’intervention entrerait dans le cadre d’un accord de coopération militaire qui date de 1976. Depuis cette date, il a été interprété de façon excessivement large par les deux pays.

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Le Burkina Faso, hôte et sujet d’inquiétude du sommet du G5 Sahel

Le Burkina Faso a pris officiellement la présidence du G5 Sahel, mardi 5 février, à Ouagadougou, capitale trois fois meurtrie par des attentats en trois ans.

« Nous devons redoubler d’efforts pour accélérer la montée en puissance de la force conjointe », a martelé le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, lors du cinquième sommet des chefs d’Etat de cette alliance militaire anti-terroriste qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.

Les enjeux de la présidence burkinabée sont de taille. Deux ans après son lancement, la Force conjointe du G5 Sahel peine toujours à se mettre en place et les groupes terroristes gagnent du terrain dans certaines zones. « Nous devrons donner une nouvelle impulsion à la force », promet Gilbert Zongo, le coordonnateur national des actions du G5 Sahel au Burkina.

Il s’agit notamment de rebondir après la destruction du quartier général de la Force conjointe, frappé par un attentat-suicide le 29 juin 2018 à Sévaré, au Mali, suspendant de facto les opérations. Depuis le 15 janvier, celles-ci ont repris : trois ont été menées sur les fuseaux centre, ouest et est. « Et elles vont se poursuivre, affirme le nouveau commandant de la Force conjointe, le Mauritanien Hanana Ould Sidi. Nous sommes en train d’étudier les moyens les mieux adaptés, les plus pertinents, pour une coopération plus forte entre les forces armées et de sécurité nationales et la Force conjointe. »

Manque de financements

Mais sur le terrain, les soldats manquent toujours d’équipements de protection et de véhicules blindés. « De fortes lacunes en matière de formation et de capacités, l’absence de bases opérationnelles sûres et fortifiées et le manque de fonds persistent et ralentissent le déploiement et l’équipement des contingents », a pointé le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un rapport remis au Conseil de sécurité le 12 novembre 2018.

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