Arabe, français, anglais et stratégies de la paresse / Par Kamel Daoud

1- On le confirme de plus en plus : un ministre intérimaire, membre de ce gouvernement de la honte, se permet, dans le cadre de ses agitations payées, de lancer le projet, faramineux et populiste, de généraliser l’anglais dans les universités algériennes. Il ne le fait pas pour ajouter à la richesse du pays une autre langue riche et internationale, mais en l’opposant, explicitement, idiotement, au français dont il s’agit « de briser l’hégémonie », réactivant, bête et méchant, les détestables guerres linguistiques algériennes. Populisme, amateurisme, volonté de décapitation des élites, on retrouve tout dans le portrait de cet homme venu de nulle part et qui le rejoindra un jour, en nous laissant une autre facture de dés alphabétisation. Plusieurs questions se posent alors.

D’abord comment un factotum, recruté pour une mission de gestion des affaires courantes se retrouve à vouloir plonger le pays dans des polémiques inutiles et à entamer son intérim avec un projet aussi lourd de conséquences sur la reproduction des élites en Algérie, la maitrise des langues et des savoirs, les liens avec nos expatriés, les batailles idéologiques qu’elles provoquent chez nous ?

Ensuite, pourquoi avec des universités sinistrées, des déclassements scandaleux et une décrépitude des élites universitaires et face à la fuite des cerveaux, on se retrouve, au cœur même d’une Révolution qui demande la liberté, avec un des charlatans prompts à réactiver des vieilles polémiques d’idéologues ?

Ce chantier que ce ministre « ouvre » imprudemment et avec une maladresse étonnante est déjà investi par les islamistes. C’est une aubaine, en effet, pour ceux qui veulent parler à la place d’Allah et faire taire les autres avec une langue dont ils ont fait l’instrument de leur haine et de leurs exclusions. « L’arabité » et « l’Arabe » sont un instrument de domination de caste pour eux, il leur faut, à eux et aux conservateurs, défendre leur domination et leur salaire : si « Allah », c’est à dire eux, ne parle pas arabe, que vont faire les islamistes et comment vont-ils gagner leur salaire et garder leur prestige et promettre le paradis en s’en faisant les courtiers ? Que faire si les Algériens parlent les langues algériennes et se passent d’eux ? Faire la guerre à la langue française est présenté comme une guerre de libération identitaire, mais sa vérité est que cette épopée permet de se faire passer pour Dieu d’un côté et pour ancien moudjahid qui fait la guerre à la France de l’autre. Son but n’est pas de nous faire marcher sur la lune mais de nous faire marcher. On me propose de libérer mon identité tout en me la refusant sous prétexte (et texte) d’une autre identité fantasmée.

Le « Français » est rappelé au souvenir comme langue de la colonisation comme si l’anglais ne l’était pas, ni l’arabe. Il faut s’imaginer alors ce monde islamiste étrange où l’Égypte parle français à la place de l’anglais pour cause d’occupation anglaise et l’Algérie parle anglais pour la même raison et la chine parlant arabe et refusant le japonais pour cause de colonisation. Amusant, mais utile pour démonter l’argument et rappeler que la Chine parle les langues du monde et fabrique les objets du monde sans s’attarder sur l’identité de la salive dans la bouche.

Ce ministre révolutionnaire attire, du coup, ceux qui n’ont pas fait la guerre à la France coloniale, qui en rêvent pour compenser des existences sans buts ni bénéfice, et qui faute de savoir construire Alger adorent rejouer la bataille d’Alger. C’est alors que le débat sur la généralisation de l’anglais devient l’occasion d’une campagne pour « tuer » la langue française en Algérie, les élites concurrentes, l’altérité. On est loin de la réflexion pour engager le pays vers l’universalité et la maitrise, mais au cœur de l’univers fantasmé des bras cassés.

Fascinant cycle fermé qui, à la fois, nous tue et nous réduit peu à peu au silence : l’arabisation a été une dé-francisation populiste et a fini par décapiter les élites du pays au lieu d’enrichir notre patrimoine de langues. On a abouti à des générations qui ne maitrisent ni le français, ni l’arabe et à qui on annonce l’anglais comme un rattrapage pour rattraper le monde qui va trop vite. Mais ça, on le savait déjà. La question est ailleurs, car, étrangement, le choix des langues en Algérie est toujours posé en terme de guerres, de purification, d’exclusion et d’appauvrissement volontaire.

2- Je suis « l’arabe », je suis « Allah »

La véritable question donc est : Pourquoi aime-t-on tant assassiner les langues en Algérie ? En faire des guerres et pas des fenêtres ? Peut-être est-ce lié à cette fameuse histoire algérienne de la pensée unique, parti unique, unanimisme, uniforme, union. Les langues dans leur diversités sont alors attentatoires à ce culte de l’unicité qui nous tue, nous enferme et nous paralyse face au monde et à l’avenir.

Parler plusieurs langues et vécu comme la trahison d’une identité monolithique. L’amazighité est ainsi refusée d’abord comme langue et seulement ensuite comme histoire. Parler l’une de nos langues a été vécu comme une trahison face à cette identité « arabe » fantasmée, imaginaire et si exclusive d’autrui. Ne peut-on parler plusieurs langues chez soi ? Non, dit le tribunal identitaire, car c’est trahir cette unicité et l’unicité du pays et l’unicité de Dieu. Dieu est unique ? Donc le parti l’est aussi, la langue, le pays. Et les autres ? Les différents ? Il faut les réduire, les incriminer puis les tuer, un jour.

Peut-être que ce « puritanisme » pathologique est-ce dû aussi aux colonisations diverses. La dernière, la colonisation française, a atteint la volonté d’effacement. Elle imposa le silence, le mutisme, fit perdre les mains, le corps mais aussi la parole. Alors pour guérir, on érige la langue comme le dernier corps, le lieu du refuge contre l’effacement.

On croira même, après l’indépendance, ressusciter en se rétractant vers un passé plus ancien que le présent colonial. Ainsi, le seul moyen de ne pas être français, c’est d’être son contraire supposé, moyenâgeux : un arabe. Mais qu’est-ce qu’être un arabe? C’est ne pas être algérien, amazigh, touareg, chaoui. Être arabe c’est être plus arabe que les Arabes, et surtout pas algérien. J’efface la blessure en effaçant mon corps, ma présence, mon présent. Étrange paradoxe : le seul moyen d’effacer le souvenir de la colonisation de l’Algérie, la défaite, a été d’effacer l’algériannité. Remonter vers une colonisation plus ancienne. Migrer, de corps en corps, mais vers le passé. Se désincarner. Entre deux défaites, on choisira celle dont on se rappelle le moins.

Dont le lointain mémoriel atténue la réalité de la violence guerrière. Là où les Egyptiens ont choisi d’être égyptiens, les Palestiniens d’être palestiniens, les Saoudiens d’être saoudiens, nous, nous avons déclaré être arabe pour ne pas être algériens. La langue arabe qui était un poème épique, devint un tribunal. Aujourd’hui encore on continue de croire que l’identité est seulement dans la langue et pas dans les mains. Être algérien n’est pas vécu ni accepté facilement. On combat en nous-mêmes, dans ce perpétuel suicide jamais conclu, nos richesses. On se tue. L’arabité devint inquisitoire et la langue arabe se confondit avec la dictature. Transformée en instrument d’exclusion. Et si on évoque la possibilité d’un pays aux langues plurielles, on peut être accusé de porter atteinte à l’islam, au Coran, à Dieu.

Défendre l’amazighité, par exemple, est perçu et dénoncé comme la preuve d’une trahison. Défendre le français comme patrimoine, est preuve de trahison, de harkisme. L’arabe, cette belle langue du monde, est brandi comme un sabre, pas comme une plume. Elle est défendue avec haine de l’Autre en soi ou en face de soi. Elle est procès de l’algériannité et pas l’une façon de raconter le monde et de traduire les mémoires des autres. Et à chaque fois que ce pays semble envisager ses pluralités, l’universalité, voilà que nous reviennent ces guerres des « langues », ces meurtres des langues.

Cette fois, avec le projet de clownesque de ce pauvre ministre, comme chargé de relancer un faux débat après l’affaire des drapeaux. On brandit l’arabité comme sacralité et on s’épanche sur le Français comme trahison. C’est un peu la mode depuis la chute de Bouteflika. Dès qu’un avenir devient possible, envisageable, le passé se hérisse et attaque.

C’est, naturellement, que ce vieux hydre nous revient sous une nouvelle forme cette fois : comment « mettre fin » à la langue française en Algérie et la remplacer par l’anglais ?

On retrouve cette interrogation, prêtée à un ministre, hallucinante dans des articles, sur des plateaux TV, au cœur d’hystériques diatribes. Et encore une fois, on ne s’interroge pas sur comment devenir encore plus riche linguistiquement mais comment « tuer » une langue, dilapider un butin dans la fanfare d’un nouveau populisme.

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Sent by Edouard Bustin

Japan’s Education Ministry Says to Axe Social Science and Humanities

Humanities and Social Sciences academic departments are being shut down by the Japanese government which has ordered their eventual closure all over the country. This decision concerns the majority of national universities, and starkly foregrounds questions surrounding the necessity of scholarship, the use(s) of HSS and how the ‘value’ of academic research is assessed.

At least 26 of Japan’s 60 national universities that have departments of the humanities or the social sciences plan to close those faculties after a ministerial request from the Japanese government, according to a new survey of university presidents by The Yomiuri Shimbun newspaper.

A June 8 letter from Hakubun Shimomura, the Minister of Education, Culture, Sports, Science and Technology, to all of Japan’s 86 national universities and all of the nation’s higher education organizations asks them to take “active steps to abolish [social science and humanities] organizations or to convert them to serve areas that better meet society’s needs.” The call focuses on undergraduate departments and graduate programs that train teachers, and includes the areas of law and economics.

To back up the request – which was made “in the light of the decrease of the university-age population, the demand for human resources and the quality control of research and teaching institutions and the function of national universities” – the ministry pointed to the financial support it provides the schools in the coming fiscal year.

This focus on bending universities to serve “areas which have strong needs” (and the implication that social science and humanities can’t help in that regard) are of a piece with Prime Minister Shinzo Abe’s economic ideas, or ‘Abenomics,’ that focus resolutely on direct and immediate industrial and employment benefits, argues an editorial in The Japan Times. The newspaper recalled Abe’s remarks in 2014 before the Organization for Economic Cooperation and Development, in which he said, “Rather than deepening academic research that is highly theoretical, we will conduct more practical vocational education that better anticipates the needs of society.” (With Abenomics now stalling, Abe has also portrayed Japanese science and technology as in peril, telling the nation’s Council for Science, Technology and Innovation in June that “the frontlines of Japan’s research fields have weakened, causing our research capabilities to lag behind others).”

The Times criticized Abe for shortsightedness:

Pursuing studies of humanities and social sciences may not produce quick economic results. But shunning them risks producing people who are only interested in the narrow fields of their majors. Studies of literature, history, philosophy and social sciences are indispensable in creating people who can view developments in society and politics with a critical eye. In this sense, Shimomura’s move may be interpreted as an attempt by the government to produce people who accept what it does without criticism. Abe, Shimomura and education ministry officials should realize that a decline in the study of humanities and social sciences will likely hamper the growth of creative work even in the fields of technology.

According to The Yomiuri Shimbun, of the 26 universities cutting their humanities and social science offerings, 17 intend to stop recruiting students in the areas and all of the 26 plan to stop offering so-called “no certificate” courses that don’t require latent prospective teaches to obtain a teaching certificate in those areas.

While some organizations, such as the executive board of the Science Council of Japan, made quick and strident objections to the ministry’s request, even some ostensible supports of the disciplines couched their support deferentially. For example, Shojiro Nishio, the new president of Osaka University (the largest national university in Japan), both backed the idea of the value but also encouraged them to “think proactively about what you can do,” reported Kiyomi Arai of The Yomiuri Shimbum.

According to Arai:

Nishio says achievements are not easily seen in the fields of humanities and social sciences, but these studies are indispensable as they bring diversity to society. Specializing in data engineering, Nishio is a world leader in information technology, particularly in analyzing big data. As a researcher, he believes studies in the humanities field do not tend to have a “strong focus on responding to the demands of society.”

Not every university was so circumspect, and some notable institutions, such as the University of Tokyo and Kyoto University, said they had no current intention of complying. The president’s office of Shiga University told Nomiura that, “Democracy cannot be preserved if the ‘intellectual knowledge’ of humanities and social science studies is cast aside.”

The Science Council of Japan put out a statement late last month expressing its “profound concern over the potentially grave impact that such an administrative directive implies for the future of the HSS {humanities and social sciences] in Japan and the very idea of the university itself, irrespective of whether it is privately or publicly funded.” That statement acknowledges that HSS could do a better job of clarifying its value, even as it stresses how integral HSS is to a “balanced” university and to the larger Japanese society.

The International Social Science Council (to which the Science Council of Japan belongs) applauded the council’s statement and for addressing how HSS is “integral to advancing knowledge on the challenges facing society today, both in Japan and internationally. They play a unique and vital role in critically thinking about and assessing the human condition, and for the understanding, foresight, governance and continued development of contemporary societies.”

 

Courtesy of Social Science Space. Original article here