Journée d’études du 3 octobre 2019 CHERPA – Aix-en-Provence
D’Alger au Cap, de Rabat à Saïgon, nombreux sont les militaires dont la trajectoire s’inscrit dans une longue séquence historique englobant période coloniale et postcoloniale. Ces hommes connaissent des carrières qui dépassent les décolonisations. Certains s’engagent dans les armées coloniales puis intègrent soit l’armée de libération nationale, soit directement l’armée indépendante y gravissant les échelons, parfois jusqu’au sommet. D’autres sont formés dans les dernières années de la décennie 1950 dans les grandes écoles militaires françaises et constituent les premiers cadres des armées nationales qui en manquaient gravement.
Les trajectoires de militaires qui traversent les décolonisations sont nombreuses mais parfois discrètes, à l’image par exemple du colonel Ahmed Benchérif. Il combat en Indochine puis déserte l’armée française en 1957 ; à l’indépendance, il devient le chef de la gendarmerie algérienne jusqu’en 1977. Le commandant mauritanien Harouna Samba Boye, quant à lui, s’engage dans l’armée coloniale française, et sert de l’insurrection malgache de 1947 jusqu’à la guerre du Sahara qui voit s’affronter l’armée nationale mauritanienne et l’armée du Front Polisario entre 1975 et 1978. D’autres parcours sont plus visibles, comme celui du général Mohamed Oufkir qui, après avoir combattu lors de la Seconde guerre mondiale et la guerre d’Indochine, rejoint les forces armées marocaines et termine sa carrière ministre de la Défense du roi Hassan II. Du côté de l’Empire britannique, on peut penser à Muhammad Ayub Khan, qui fait carrière dans l’armée indienne britannique où il combat sur le front birman durant la Seconde guerre mondiale avant d’occuper plusieurs postes au sein de l’armée du Pakistan jusqu’à accéder à la magistrature suprême à la suite d’un coup d’État en 1958.
Ces exemples parmi beaucoup d’autres nous invitent à considérer les trajectoires de ces hommes sur un temps long, dépassant ainsi la théorique rupture des indépendances.
Outre ces carrières d’officiers ayant connu les plus hautes sphères du pouvoir, qui sont souvent les plus étudiées, les trajectoires de militaires du rang, d’officiers subalternes ou de sous-officiers montrent sous un autre jour les reconfigurations à l’oeuvre dans le processus de décolonisation – que celle-ci passe par une guerre de libération ou non – puis de construction de l’État postcolonial. De plus, si ces exemples concernent des militaires issus des colonies, l’analyse des trajectoires de coloniaux qui seraient ensuite restés sur place comme conseillers militaires (W. Bruyere-Ostells 2014 ; C. Evrard 2012 ; R. Tiquet 2013), ou encore de métis qui auraient choisi les armées nationales, est également à même d’affiner les connaissances sur la reconfiguration des liens entre métropoles et anciennes colonies au cours des années suivant les indépendances.
Cette journée d’étude souhaite s’ouvrir aux Empires coloniaux de la fin des mandats britannique en Irak (1932) et français en Syrie et au Liban (1946) à l’indépendance des anciennes colonies portugaises (1975). Cette large séquence historique permet d’englober les trajectoires militaires d’hommes issus des colonies aussi bien françaises, que britanniques ou encore portugaises, italiennes, espagnoles, belges ou néerlandaises. Il s’agira d’examiner les circulations de ces hommes tant au sein des empires que des États indépendants. L’étude de ces trajectoires offre un angle d’approche original pour saisir les processus de construction des armées et des États postcoloniaux qui sont bien souvent indissociables.
Comme le note Mathieu Rey dans le cas irakien, pour les régimes aux commandes de nombre de ces États, l’armée est considérée comme un vecteur de construction étatique et un creuset représentatif de la diversité de la population. Plusieurs exemples montrent toutefois un décalage entre les discours et la réalité de ces institutions, taxées, a posteriori, de nombreux maux : corruption, violence, soif de pouvoir, incurie, incompétence… L’objet de cette proposition est d’utiliser les trajectoires individuelles de militaires pour étudier plus finement ces institutions et leur place dans les reconfigurations postcoloniales.
Nous souhaitons d’une part nous interroger sur les points suivants : comment ces trajectoires s’inscrivent-elles dans les processus de décolonisation ? En quoi l’analyse des trajectoires de ces hommes nous permet-elle de repenser la construction des États postcoloniaux ? Qu’apporte-elle à la réflexion sur les rapports nouveaux entre sphère militaire et sphère politique, ainsi que sur les relations militaires entre les anciennes métropoles et leurs colonies après les indépendances ? D’autre part, il s’agit de renforcer la réflexion méthodologique sur l’étude des trajectoires, en tenant compte non seulement des éléments de carrière, mais aussi de formation, les opportunités relationnelles (ou au contraire les rapports de force) que les différentes affectations fournissent et qui orientent parfois les destinées. L’accent sera donc mis sur l’exploration des différentes sources permettant de traiter des trajectoires militaires (archives d’État, mémoires, sources orales, biographies, etc.) ainsi que sur les possibilités de réaliser des études prosopographiques.
L’objectif de cette journée est de faire discuter des chercheurs travaillant sur des aires différentes afin de faire émerger des points de convergence ou de contraste et d’élargir les horizons, tout en restant attaché à l’ancrage de la réflexion dans des réalités locales complexes. Les propositions de communication portant sur des aspects méthodologiques de la recherche et/ou sur des espaces hors de l’Empire français seront donc particulièrement appréciées.
Propositions :
Les propositions de communication sont à adresser sous la forme d’un bref résumé (entre 300 et 500 mots) et d’une courte biographie avant le 1er juin 2019 à : evrardcamille1@gmail.com et saphia.arezki@wanadoo.fr.
Bibliographie :
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Arezki Saphia, De l’ALN à l’ANP : la construction de l’armée algérienne (1954-1991), Alger, Barzakh, 2018.
Bat Jean-Pierre, « Georges Conan. RG et contre-subversion au Cameroun (1955-1960) », dans J.-P. Bat et N. Courtin, Maintenir l’ordre colonial, Rennes, PUR, 2012.
Bruyère-Ostells Walter, Dans l’ombre de Bob Denard. Les mercenaires français de 1960 à 1989, Paris, Nouveau Monde éditions, 2014.
Bruyère-Ostells Walter, « La révolte des mercenaires contre Mobutu en 1967 », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 247, no. 3, 2012, pp. 91-104.
Debos Marielle, Glasman Joël (dir.), « Dossier : Corps habillés. Politique des métiers de l’ordre », Politique africaine, 2012/4, n° 128.
Evrard Camille, « Le Chef de Bataillon François Beslay, un officier « hors-cadres ». Des méharistes coloniaux à l’armée nationale mauritanienne », dans J.-P. Bat et N. Courtin, Maintenir l’ordre colonial, Rennes, PUR, 2012.
Evrard Camille, « Retour sur la construction des relations militaires franco-africaines », Relations internationales, vol. 165, n° 1, 2016.
Goscha Christopher E., « Alliés tardifs : les apports techniques des déserteurs japonais au Viet-Minh durant les premières années de la guerre franco-vietnamienne », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 202-203, n° 2, 2001
Leroux Denis, « Entre expérience impériale et anticommunisme de Guerre froide : les vies éclatées des officiers de l’action psychologique », Monde(s), 2017/2, n° 12
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Malsagne Stéphane, « L’armée libanaise de 1945 à 1975. Du socle national à l’effritement », Vingtième siècle, n°124, 2014/4.
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