“Like an Arab in France”: Christelle Taraud’s review of Todd Shepard’s 2017 book

Courtesy of http://www.lhistoire.fr/livres/comme-un-arabe-en-france (April 2017),  Christelle Taraud discusses the translation by Clément Baude Payot of Todd Shepards book “Sex, France, and Arab Men, 1962-1979” (University Of Chicago Press, 2017). The book identifies two stereotypes of ‘the Arab’ that have formed within French society. The first was a derogatory trope invoking violence and violation taking shape after the end of the Algerian War in 1962, and another discourse of the virile revolutionary developed after the civil unrest of May 1968. Shepard combines colonial and sexual histories to show how the two discourses continued to clash throughout the 1970s, and to argue that the Algerian revolution for independence coincided, and collided, with the sexual revolution, making a lasting imprint on present day France;

“L’historien américain Todd Shepard montre comment la représentation de l’« Arabe » cristallise depuis cinquante ans les fantasmes et les peurs de la société française. Alors même que peu d’ouvrages traitent vraiment en France de la question postcoloniale, moins nombreux encore sont ceux qui centrent, de surcroît, leur propos sur les politiques, les pratiques et les imaginaires sexuels et raciaux notamment quand ceux-ci concernent les hommes arabes. Ceci est particulièrement vrai quand on connaît le poids – en termes de conférences, de colloques et de publications notamment – de la guerre d’Algérie dans l’historiographie contemporaine.

Todd Shepard (professeur associé à l’université Johns Hopkins de Baltimore) pose a contrario comme postulat que l’« Arabe », sa sexualité et les stéréotypes attenants à celle-ci sont essentiels pour comprendre la société française et ses évolutions entre 1962 et 1979. Son livre apparaît de ce point de vue comme novateur : il démarre chronologiquement à l’indépendance algérienne quand les autres publications s’arrêtent souvent à cette date ; il analyse les questions sexuelles qui sont en général soit oubliées, soit marginalisées, soit dénigrées dans les travaux sur la France de cette période. L’approche, certes ancrée dans une autre tradition intellectuelle et académique – celle des gender studies en vogue dans les pays anglo-saxons -, permet de relire de manière stimulante des sources déjà bien connues, tout en en exhumant de nouvelles en nombre, par exemple dans le domaine de la presse militante (d’extrême gauche ou d’extrême droite).

Une figure obsessionnelle

Ce qui émerge ici c’est la place incontournable, pathologique, voire obsessionnelle, que la figure de l’« Arabe » a prise dans la démonologie contemporaine de la France. Fortement sexualisée et stéréotypée, celle-ci s’est fixée par étapes tout au long d’un continuum allant de l’expédition d’Alger en 1830 aux accords d’Évian en 1962. Selon un triptyque, classique par ailleurs dans l’idéologie coloniale et raciale, l’« Arabe » est perçu tour à tour comme « paresseux »-« voleur », « fourbe »-« fanatique » et/ou « voileur »-« violeur ». Au XXe siècle (et encore aujourd’hui), sa figure est une réactualisation constante de celle des classes laborieuses, dangereuses et « vicieuses » du XIXe siècle.

Ainsi, argumente de manière très convaincante Todd Shepard, nos lois, nos droits, nos politiques, nos pratiques et nos imaginaires sont-ils le produit direct de cette vision, d’abord façonnée par les élites, mais qui a ensuite imprégné, par étapes, l’ensemble du tissu social français. Dans ce mouvement où la république n’est pas rien – puisque ce sont les républicains de la IIIe qui promulguent et légitiment le Code de l’indigénat en Algérie en 1881 -, tous les courants de la vie politique française ont alimenté, en fonction de leurs traditions idéologiques et de leurs programmes politiques, cette vision où l’« Arabe » va cristalliser, et pour longtemps, les fantasmes et les peurs de la société française.

L’autre grand atout du livre de Todd Shepard est en effet de nous rappeler combien la période allant de 1962 à 1979 est saturée par la question de la « présence algérienne » en France. Des discours de l’extrême droite – et notamment du Front national, fondé en 1971 par Jean-Marie Le Pen – à ceux de la gauche anticolonialiste, tiers-mondiste et féministe, tous font de l’« Arabe » (d’abord entendu comme « Algérien ») une figure centrale et instrumentalisée d’un débat fortement sexualisé après 1968. Ce que le Front national résumera, de manière lapidaire, au milieu des années 1980 par la formule : « Si tu niques la France, tu dégages »… Passée en effet d’une défense de l’Algérie française à un combat contre la « France algérienne », l’extrême droite, en France, a fortement concentré son discours anti-immigré sur la figure de l’« Arabe » comme « délinquant » sexuel.

Un être « inassimilable »

A contrario, dans le sillage de Mai 68 et de la révolution sexuelle du début des années 1970, l’extrême gauche utilise à plein le potentiel politique et érotique de « l’homme algérien révolutionnaire » tel que la guerre d’Algérie et le mouvement panarabe l’ont construit, par exemple dans le film de Gillo Pontecorvo La Bataille d’Alger (1965) au travers de la figure d’Ali la Pointe. « Barbare sexuel » chez les uns (à l’équivalent de ce que sont, aux États-Unis, pour certains Blancs, les Afro-Américains, comme l’a encore montré la récente campagne de Donald Trump), « Oriental érotisé » chez les autres (et ceci est particulièrement vrai, par exemple, dans les mouvements gays des années 1970-1980), l’« Arabe », nous dit Todd Shepard, n’est jamais un homme « en soi » non plus qu’un « étranger » ou un Français comme les autres.

Avec fermeté et beaucoup d’arguments, Todd Shepard nous amène alors à constater l’omniprésence de cette figure dans les polémiques concernant la supposée « civilisation » et « démocratie » sexuelles de la France dont l’« Arabe » serait le pourfendeur total et ultime. Ainsi, dans les débats autour de la prostitution et de la « traite des Blanches », de la « virilité française » et de l’homosexualité, ou bien encore des violences sexuelles faites aux femmes (notamment dans les affaires de « viols de Blanches »), est-il toujours présenté comme un « agresseur » incarnant à lui seul l’ensemble de la violence sexiste et homophobe de la société française « postcoloniale », ce qui permet, manière de boucler la boucle ouverte en 1830, d’en faire un être « inassimilable » : vision qui gagne encore en force aujourd’hui.

Décapante et militante, cette plongée dans les eaux glauques de l’inconscient politique et sexuel d’une société postcoloniale est bizarrement revigorante. Elle nous aide à prendre de la distance avec une campagne présidentielle de 2017 où les questions abordées ne manqueront pas de nourrir, à nouveau, débats et polémiques.”

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