« La CPI, l’affaire Gbagbo et le rôle de la France »

Pour le juriste Morten Bergsmo, l’acquittement de l’ancien président ivoirien révèle un problème d’indépendance et de contrôle qualité au sein de la Cour pénale internationale.

Tribune. Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire, a été acquitté, mardi 15 janvier, par la Cour pénale internationale (CPI) des accusations de crimes contre l’humanité commis dans le contexte des violences postélectorales il y a huit ans. Les défenseurs de la CPI laissent déjà entendre que cette décision prouve son bon fonctionnement, certes, mais qu’elle ne devrait pas juger les dirigeants en premier, plutôt avancer plus doucement, et qu’il est particulièrement difficile de condamner des chefs d’Etat. Ces trois excuses ne suffisent pas.

Le budget de la Cour s’élevait à 147 431 500 euros en 2018. Les enquêtes prennent plusieurs années, les procès aussi parfois. L’affaire Gbagbo a nécessité 231 journées d’audience durant lesquelles 82 témoins sont intervenus, des milliers de documents ont été présentés. Consacrer plus de temps et d’argent ne garantirait pas la bonne marche de cette justice.

Le bilan de la CPI est inédit dans le paysage de la justice internationale : les procédures engagées contre douze personnes ont échoué, alors que seulement trois condamnations pour crimes de droit international ont été prononcées. Quatre accusés ont été acquittés, quatre ordonnances de non-lieu ont été rendues et les poursuites ont été abandonnées dans quatre autres cas. Sur ces douze personnes, quatre étaient des chefs de groupes rebelles, trois étaient des responsables politiques comme Laurent Gbagbo, trois étaient des dirigeants de partis politiques et deux étaient des fonctionnaires. Il est donc faux de dire, comme l’ont affirmé certains observateurs, que les procédures visant des chefs d’Etat échouent davantage que les autres. L’échec ne connaît pas la discrimination.

Défaillance du moteur

L’acquittement de Laurent Gbagbo révèle qu’il existe un problème de contrôle qualité au sein de la Cour. Ce n’est pas nouveau. A vrai dire, sa capacité d’enquête a même été affaiblie dès le début. Le budget d’origine adopté par les Etats membres de la CPI prévoyait que le procureur occuperait des fonctions de direction, tandis que son chef de cabinet officierait à un niveau inférieur, uniquement professionnel. Mais dès mai 2003, le premier procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, a échangé ces attributions devant l’insistance de son premier chef de cabinet. Conduite depuis les plus hauts niveaux, une division imprévue et compliquée consacrée à l’analyse diplomatique et politique a été créée.

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Sent by Edouard Bustin

Procès de Laurent Gbagbo : Mediapart dénonce un “montage” organisé par la France

Habitué aux révélations choc, le site d’investigation français, vient de jeter un gros pavé dans la mare déjà pleine de la polémique sur le procès Gbagbo. Un document confidentiel du ministère français des Affaires étrangères à l’appui, Mediapart révèle que la CPI a délibérément de maintenir en détention l’ancien président ivoirien, sans mandat d’arrêt ni saisine. Détails d’une révélation qui démolit la crédibilité et l’impartialité des membres de la CPI.

Mediapart n’a pas laissé d’équivoque dans son titre. Son enquête sous-titrée « les preuves d’un montage », désigne par là un « document confidentiel de la diplomatie française ». Selon ce dernier, un haut responsable français fait savoir par courriel que Luis Moreno-Ocampo, procureur de la CPI (2003-2012) à l’époque, souhaite que les forces loyales à Alassane Ouattara qui détenaient Laurent Gbagbo, le maintiennent en détention et d’attendre qu’un Etat de la région renvoie l’affaire devant la CPI. Seul problème, le procureur ne détient aucun mandat d’arrêt et n’a pas été saisi.

« Monsieur Afrique » à la manœuvre pour le montage

A la manœuvre pour ce « montage », un obscur courriel envoyé à des personnes dont les patronymes ont été gommés à la publication de l’enquête, le 11 avril 2011, le jour même de la capture de Laurent Gbagbo et de son épouse Simone par des milices pro-Ouattara qui se sont emparées de la résidence présidentielle avec l’aide des blindés français.

L’expéditeur de ce mail n’est autre que l’écrivain Stéphane Gompertz. Aujourd’hui à la retraite, le sexagénaire a été le « Monsieur Afrique » du ministère des Affaires étrangères entre 2010 et 2012, après avoir été ambassadeur de France en Ethiopie. « Si nous sommes interrogés sur les poursuites, je pense que nous devrons avant tout renvoyer aux autorités légitimes de Côte d’Ivoire », pianote le diplomate-écrivain sur son clavier.

Cette révélation explosive intervient en plein procès Gbagbo qui s’éternise depuis janvier 2011. Elle risque d’éclipser le témoignage à charge de Philipe Mangou, ancien chef d’état-major qui a décidé d’enfoncer l’ancien président ivoirien. Au-delà, ce sont la crédibilité et l’impartialité même de la CPI qui sont remises en cause.

Les révélations du « montage », de l’eau au moulin des avocats de Gbagbo

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’institution judiciaire basée à la Haye, qui n’est plus en odeur de sainteté sur le Continent, a joué le dangereux jeu de déclencher un incendie et venir l’éteindre avec des litres d’essence. La révélation de Mediapart prouverait, si besoin en était encore, des pratiques extrajudiciaires d’une cour susceptible de répondre aux ordres et à être perméable à l’influence d’Etats, capables d’instrumentaliser son pouvoir extraterritorial pour servir non pas la justice mais des intérêts.

Pour aller plus loin, l’on est en droit de s’interroger, si la nouvelle procureur, Fatou Bensouda, ne parachèverait pas ce « montage » par un acharnement à ne pas libérer, même provisoirement Laurent Gbagbo que l’on dit pourtant atteint d’arthrose, de tension artérielle et de rhumatisme.

A contre-courant, son institution a systématiquement refusé 13 demandes de liberté provisoire à l’ancien président au point que la Cour d’appel de la CPI l’a enjoint de revoir sa copie.

Pour l’heure difficile de dire si les révélations de Mediapart peuvent constituer une bouée de sauvetage pour faire sortir Laurent Gbagbo du pénitencier de Haaglanden, dans le quartier de Scheveningen, sur les rives de la mer du Nord aux Pays-Bas. Mais, elles apportent de l’eau au moulin des avocats de l’ancien président et interrogent sur le bien-fondé des poursuites à l’encontre de leur client.

Après les révélations sur les turpitudes notamment les accointances d’Ocampo avec Hassan Tatanaki, obscur personnage dans la crise libyenne, et ses comptes offshores, la CPI se retrouve dans l’œil du cyclone. Un argument de plus pour conforter la fronde africaine ?

 

Par Ibrahima Bayo Jr.

Publié sur le site La Tribune Afrique : http://afrique.latribune.fr/politique/2017-10-05/cote-d-ivoire-la-detention-de-laurent-gbagbo-un-montage-selon-mediapart-753075.html

Lien vers l’article original de Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/international/051017/proces-gbagbo-les-preuves-d-un-montage?onglet=full