Algérie 2019 : une crise majeure

Le Président algérien Abdelaziz Bouteflika a rendu publique sa « démission » le 2 avril 2019, en réponse à une sommation du chef de l’armée lui enjoignant de mettre en œuvre immédiatement les dispositions de l’article 102 de la Constitution qui prévoit « l’empêchement » pour raison de santé. Quelques semaines plus tôt, M. Bouteflika était pourtant candidat à un cinquième mandat. Cette perspective a cependant provoqué une crise politique majeure dont les racines sont anciennes. Comment penser les facteurs structurels et les évènements conjoncturels ? Nadji Safir apporte ici de précieuses clés de lecture. Il présente successivement les faits les plus récents, le contexte d’un modèle bi-rentier (politique et énergétique) entré en crise et le rôle de la jeunesse.

LES grandes manifestations populaires dirigées contre le projet d’un cinquième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika – de fait, inscrit dans une logique de présidence à vie – qui se déroulent en Algérie depuis la mi-février 2019 constituent un tournant de toute première importance dans la vie politique du pays. En effet, c’est bien la première fois, depuis l’Indépendance nationale en 1962, que de tels rassemblements, regroupant au niveau national des millions de personnes, ont lieu dans tout le pays et ce, de manière pacifique. De fait, il s’agit d’un phénomène tout à fait nouveau consacrant l’irruption des citoyens qui comptent bien faire entendre leur voix et participer aux prises de décisions qui engagent leur avenir en occupant un espace public jusqu’alors particulièrement atone, car essentiellement dominé par des acteurs institutionnels très conventionnels et inscrits dans une problématique définie par un régime autoritaire. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

A priori, le refus d’un projet de cinquième mandat présidentiel tout à fait irréaliste

A priori, la protestation populaire s’est organisée contre le projet d’un cinquième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika puisque celui-ci, dans une lettre à la Nation, diffusée le 10 février 2019, a officiellement annoncé sa candidature à la Présidence de la République ; étant entendu que le scrutin présidentiel devait être organisé le 18 avril 2019. Or, depuis l’accident vasculaire cérébral dont il a été victime en avril 2013, son état de santé, gravement détérioré, ne lui permet plus d’exercer ses fonctions. D’ailleurs, il ne s’exprimait plus en public. Ses très rares apparitions ne font que confirmer son incapacité manifeste à assumer une charge publique aussi lourde que celle de Président de la République. Pour rappel, il convient de retenir qu’élu pour un premier mandat de cinq ans en avril 1999, il est réélu en 2004 puis – après une modification de la Constitution intervenue en 2008, faisant « sauter » le verrou limitant à deux le nombre de mandats pouvant être exercés par un Président de la République – en 2009 et 2014. 

Le quatrième mandat, intervenant après ses graves problèmes de santé et ayant été notablement caractérisé par une « campagne électorale » tout à fait exceptionnelle dont le « candidat favori » avait été totalement absent. Voici pourquoi le projet d’un cinquième mandat présidentiel 2014-2019 est immédiatement apparu aux yeux d’une très grande majorité de citoyens comme irréaliste, arrogant et donc, en tant que tel, totalement inacceptable. Et c’est ainsi que nous sommes en présence d’un très large consensus national autour d’un mot d’ordre simple, clair et net – « Non à un cinquième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika ». Le rejet de ce projet de cinquième mandat, déjà diffus depuis quelques mois, a donc fonctionné à partir de la mi-février 2019 comme un élément déclencheur d’un mouvement social dont les diverses formes de manifestation sont pratiquement devenues quotidiennes, avec systématiquement en point d’orgue celle, fortement symbolique, du vendredi.

Algérie, contestationSource : Wikipedia

Puis, émerge progressivement un rejet de plus en plus radical du système politique en place

Au départ, strictement limité au rejet du projet de cinquième mandat présidentiel, le large mouvement social initié évolue progressivement et se transforme en une revendication profondément politique et beaucoup plus radicale. En effet, face aux différentes réactions successives du pouvoir politique, systématiquement caractérisables comme relevant d’une analyse en termes de « trop peu, trop tard », en raison de leur préoccupation permanente de sauver, autant que faire se peut, les fondements du régime politique en place, le plafond des revendications du mouvement social ne cesse d’évoluer vers plus d’exigences. Pour finalement se transformer en une ferme revendication de départ définitif de tous les membres de l’élite politique au pouvoir depuis 1962 qui est systématiquement scandée en une formule lapidaire, exprimée en langue arabe populaire algérienne : « Tous doivent partir ». Tel que formulé, ce slogan d’inspiration « dégagiste [1] » signifie clairement que pour les acteurs les plus dynamiques du mouvement social engagé, il n’y aura de solution à la crise qu’en dehors des schémas institutionnels jusqu’alors prévalant dans le pays. Et qui, tous, à commencer par la Constitution, d’une manière ou d’une autre, supposent nécessairement la participation d’acteurs politiques ayant déjà fonctionné dans le cadre du régime politique existant. 

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Sent by Edouard Bustin

Pourquoi les tensions en Algérie inquiètent particulièrement la France

L’annonce du retrait d’Abdelaziz Bouteflika avant la fin de son éventuel prochain mandat n’apaise pas la contestation. La France est particulièrement inquiète.

Les manifestations n’y ont rien changé. Malgré ses 82 ans, dont vingt à la tête de l’Algérie, et sa santé chancelante, en raison d’un AVC survenu en 2013, le président Abdelaziz Bouteflika a officialisé sa candidature à un cinquième mandat, le 3 mars. Son directeur l’a déposée à sa place, car le chef de l’Etat ne se déplace plus que pour se faire soigner dans un hôpital de Genève, où il se trouve actuellement. Bouteflika promet, s’il est réélu le 18 avril, de se retirer avant la fin du mandat et d’organiser une élection présidentielle anticipée, dont la date serait fixée à l’issue d’une ” conférence nationale “.

Facteur de fragilité

Les forces obscures qui tiennent le pouvoir à Alger ont donc décidé de braver la contestation populaire, d’une ampleur inédite. Quitte à mettre le pays en danger. Le camp présidentiel agite le spectre de la décennie noire de la guerre civile (1992-2002), voire celui du conflit syrien. Mais l’argument de la stabilité, qui avait déjà servi lors de l’élection présidentielle de 2014, ne tient plus : cette énième candidature d’un président malade devenu fantôme est désormais, en soi, un facteur de fragilité. La situation est à ce point explosive, à l’approche du scrutin du 18 avril, que Xavier Driencourt, l’ambassadeur de France à Alger, a été appelé au Quai d’Orsay, le 27 février dernier, afin d’en rendre compte au ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Comme toujours avec son ancienne colonie, Paris s’inquiète mais se montre d’une grande prudence, de peur d’être accusé d’ingérence. ” C’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de choisir ses dirigeants, de décider de son avenir “, a déclaré Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement.

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