Comment la Guinée-Bissau et la RDC sont devenues des plateformes internationales de commerce de la drogue

Renversements de gouvernements, fragilisation des états, rébellions ethniques, corruption généralisée… Le narcotrafic est impliqué dans presque toutes les difficultés géopolitiques que connaissent les gouvernements africains. Pour en faire la démonstration, nous étudierons trois exemples emblématiques.

La Guinée-Bissau, le premier des narcos-États africains

La Guinée-Bissau possède toutes les qualités susceptibles d’attirer les narcos sud-américains. Elle se trouve à la distance la plus courte du Venezuela et possède un archipel somptueux (les Bijagos) au large de Bissau, constitué d’une myriade de petites îles pouvant facilement être aménagées en ports clandestins ou en pistes d’atterrissage secrètes. Son PIB la classe parmi les pays les plus pauvres de la planète (vingt-deuxième au dernier recensement). Les forces de sécurité sont démunies et peu formées. 

Un véritable paradis pour cartels sud-américains. 

D’ailleurs, ils n’ont pas tardé à débarquer en force. Vers 2005, l’essentiel de l’attention des services de sécurité internationaux était tourné vers le Cap-Vert, principale base de rebond de la cocaïne vers l’Europe. En quelques mois, Bissau a détrôné Praia comme capitale des narcos, et ce, pour son plus grand malheur. Malgré un manque de moyens qui serait risible s’il n’était tragique, les directeurs de la police judiciaire successifs (Orlando da Silva et Lucinda Barbosa Ahukarié, que j’ai eu la chance et l’honneur de rencontrer) ont fait preuve, tous deux, d’un courage exceptionnel en réalisant des saisies de coke remarquables – ce qui a valu à Orlando da Silva d’être limogé et à Lucinda Barbosa Ahukarié de démissionner en 2011 en raison de menaces graves contre sa vie et celle de ses proches. Dans ce pays en déliquescence, les militaires ont clairement joué le rôle de soutien logistique aux narcos sud-américains. Ils ont pourvu à l’approvisionnement en carburant des avions des trafiquants se posant dans les Bijagos ; ils ont procédé à l’acheminement de la cocaïne jusqu’à des entrepôts dont ils ont assuré la garde. 

Cette implication de l’armée dans le narcotrafic va entraîner des troubles graves, difficilement imaginables en Occident. En mars 2009, le général Tagmé Na Waï, chef d’état-major des armées, a été assassiné lors de l’explosion d’une bombe. Ses partisans, furieux, se sont rendus au domicile du président de la République, Nino Vieira, qu’ils ont criblé de balles, puis achevé à la machette. Les deux victimes étaient régulièrement citées comme étant impliquées dans le trafic de cocaïne. Elles se seraient livré une guerre pour la conquête des faveurs des Sud-Américains. Certains prétendent même que les deux hommes auraient été éliminés à la demande des cartels. Les deux derniers protagonistes de ces affaires ont été également supprimés. Le premier, l’ancien ministre de la Sécurité Baciro Dabo, régulièrement cité comme étant un narco accompli, a été exécuté par des militaires. 

Le second, le contre-amiral Bubo Na Tchuto, chef de la marine, était ciblé depuis longtemps par l’agence antidrogue américaine, la DEA. En 2013, les agents américains ont tendu un piège au chef de la marine bissau-guinéenne : il aurait repris les activités lucratives de narcotrafic de Nino Vieira. Les Américains se sont fait passer pour des membres d’un cartel voulant commercer avec le chef de la marine et lui ont donné rendez-vous sur un yacht, en pleine mer. Il ne restait plus qu’à emballer le « colis » et l’envoyer aux états-Unis, où il a été jugé et condamné à une peine bien légère de quatre ans de détention. La modestie de la sanction et le fait que le contre-amiral a été libéré en octobre 2016 laissent imaginer que Bubo Na Tchuto a coopéré avec les fédéraux américains. À son retour triomphal en Guinée-Bissau, il a réclamé sa réintégration comme chef des armées, mais en vain. Le trafic était dans d’autres mains.

La République démocratique du Congo  et l’or vert du cannabis

L’Afrique centrale n’est jamais devenue une zone de transit pour la cocaïne et pour l’héroïne comme l’ont été et le sont encore l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud. Cela, malgré la faiblesse des dispositifs de contrôle des frontières. En fait, il n’y a aucun intérêt pour les narcos à utiliser cette zone du continent, mal desservie au niveau aérien et dénuée des infrastructures de base essentielles au trafic de stupéfiants. Il existe cependant un trafic de cannabis régional trouvant son origine en République démocratique du Congo et qui contribue grandement à l’instabilité chronique et meurtrière de l’Afrique centrale. 

L’est de la RDC est gangréné par des groupes armés incontrôlés. Les viols de masse, la traite des enfants soldats, les trafics de minéraux et de stupéfiants maintiennent le Congo oriental dans un chaos qui profite seulement aux groupes armés. On citera principalement les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), une milice ethnique hutue née durant le génocide rwandais de 1994, génocide qui a provoqué l’exil de centaines de milliers de réfugiés sur le territoire de l’ex-Zaïre. Ce groupe est composé d’anciens militaires génocidaires, d’ex-miliciens, mais également de civils. Il s’est implanté dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema grâce à la bienveillance de Laurent-Désiré Kabila. Cette passivité a pris fin en 2003 avec Joseph Kabila, qui a mené plusieurs offensives contre la milice hutue. On notera que les principales zones de production du cannabis en Afrique centrale sont situées dans le grand nord du Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu, zone d’influence des FDLR. 

Un second groupe criminel, une milice nommée Maï-Maï Sheka composée d’anciens combattants, de déserteurs et d’anciens mineurs, s’est fait pour spécialité de « libérer » les mines qui étaient tombées sous le contrôle de l’armée nationale. Mais rapidement, leur réelle sphère d’activité s’est déplacée vers le viol de masse, le pillage en coupe réglée, l’enlèvement d’enfants recrutés pour devenir soldats et le trafic de cannabis.

Extrait du livre “Africa connection, la criminalité organisée en Afrique”, sous la direction de Laurent Guillaume, publié aux éditions La Manufacture de livres.

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Démocratie : pourquoi l’Afrique centrale n’avance pas

La réélection des plus prévisibles de Paul Biya, 85 ans, pour un septième mandat à la présidence du Cameroun, est passée comme une lettre à la poste — du moins sur la scène internationale. Quelques papiers et réactions à l’annonce des résultats le 22 octobre — 71,2 % des voix —, des félicitations de Paris et c’est reparti pour un tour, après de longues années de pourrissement dans ce pays. En 2010, un rapport de l’ONG International Crisis Group s’était inquiété d’une possible guerre, tant le problème de la succession — un cancer non traité — produisait déjà ses métastases. C’est du côté du Cameroun anglophone que le conflit a éclaté, dans une région lassée des négligences du pouvoir central à son égard puis révoltée par la répression à son encontre.

Non moins prévisible, le chaos se profile en République démocratique du Congo (RDC) avec la « machine à voter » — un morceau qui promet d’être mémorable. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni), après deux ans de report du scrutin présidentiel par « manque de moyens », a sorti l’engin de son chapeau, décidant d’en commander 107 000 à une société privée sud-coréenne — un contrat de 158 millions de dollars. Cet outil n’a pas été certifié. Les autorités de Séoul ont mis en garde contre les (in)conséquences de son (més)usage.

La machine est présentée comme une imprimante par la Ceni : l’électeur touche sur un écran tactile la photo de son candidat, qui s’imprime, et sert de bulletin de vote à glisser dans l’urne. À raison d’une machine par bureau de vote, la technologie annule le secret du vote et ne fonctionnera pas toujours, en raison des coupures d’électricité. Comme ailleurs en Afrique centrale, tout un peuple part aux élections alors que les résultats semblent joués d’avance. Joseph Kabila, en place depuisı 2001, a opté pour une solution à la Poutine-Medvedev. Il va pousser son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary, 58ı ans, ex-gouverneur de la province du Maniema. Que sait-on de cet homme ? C’est un ministre de l’intérieur qui a été sanctionné en mars 2017 par l’Union européenne pour avoir réprimé à tour de bras les manifestations réclamant la tenue du scrutin à la date prévue, fin 2016… Comme Paul Biya, il a toutes les chances de l’emporter, compte tenu de l’ampleur de la fraude qui se prépare.

La communauté internationale aux abonnés absents

À se demander à quoi sert de faire des élections dans la seule région d’Afrique où les chefs d’État peuvent encore l’être à vie. Quinze ambassadeurs représentant les membres du Conseil de sécurité ont fait le déplacement le 8 octobre à Kinshasa, pour s’assurer que le scrutin ait lieu à la date prévue et dans les bonnes conditions. Ils savent qu’il n’y a aucun suspense sur les résultats. Et qu’il y aura sans doute une crise.

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