25th Commemoration of the Rwanda genocide

Series of blog-posts by Colette Braeckman for the 25th commemoration of the Rwanda genocide.

1 Souvenirs du Rwanda, un quart de siècle plus tard

Un quart de siècle, ce n’est rien. Les souvenirs que j’avais gardés du Rwanda sont remontés brusquement. Aussi brûlants qu’au premier jour. En voici le récit.

La lente descente aux enfers

Lorsque je découvris le Rwanda à la fin des années 80, le « pays des milles coopérants » bénéficiait de toutes les indulgences. Le président Habyarimana venait régulièrement partager les prières du château de Laeken et les fidèles se pressaient dans les églises catholiques. En août 1990, le président Habyarimana mesurait cependant la montée des périls. A l’occasion d’une longue interview qu’il m’accorda dans sa villa de Remera, à l’extérieur de la ville, il souligna les difficultés économiques du pays, invoquant le surpeuplement pour exclure toute idée d’un retour des Tutsis réfugiés dans les pays voisins : « vous voyez bien qu’il n’y a pas de place ! ». Me présentant son épouse Agathe il déclara en souriant : « c’est elle le véritable chef ». Commentant la prochaine venue du Pape, il s’interrogea sur le coût que son pays devrait supporter, à tel point que je me permis une plaisanterie de mauvais goût : « un malheur n’arrive jamais seul. »

J’ignorais alors qu’un mois plus tard, le 1er octobre 1990, le Front patriotique rwandais allait déclencher la guerre depuis la frontière ougandaise avec, dans ses rangs, les enfants des exilés tutsis qui avaient grandi dans les camps de réfugiés et dont le retour était obstinément refusé. Grâce au soutien des troupes de Mobutu, grâce à l’intervention de ceux que Jean-Christophe Mitterrand appelait « quelques bidasses »français, l’offensive fut rapidement bloquée et Fred Rwigema, le charismatique commandant en chef des rebelles fut tué sur le front. Pendant que Paul Kagame réorganisait les troupes, les Tutsis, à l’intérieur du pays, étaient pris pour cibles : plus de 10.000 d’entre eux avaient été regroupés dans le stade de Kigali et les assassinats se multipliaient.

Multipartisme oblige, la vie politique était polarisée entre les « modérés » d’un côté et des « Hutu power » extrémistes de l’autre. A l’époque, me rendre au Rwanda était, presque, devenu une obsession. Reportage humanitaire ou de développement, visite ministérielle, halte sur la route du Burundi…C’est que le Rwanda, jusque là si ordonné, donnait peu à peu l’impression de basculer. La « carte postale » se couvrait de lézardes, de zones d’ombre..

Chaque déplacement réservait des surprises. Comme, dans la forêt de Nyungwe, me trouver soudain en face d’une patrouille militaire qui revenait d’exercice. Des commandos surgissaient des fourrés, suants, haletants. Des Européens, Français de toute évidence, le visage noirci au charbon, menaient le train et auraient préféré passer inaperçus. Dans le Bugesera, cette zone aride où, dans les années 60, les Tutsis du Nord du pays avaient été déportés sur la terre sablonneuse, les assassinats se multipliaient mais il fallut qu’une religieuse italienne, Mme Locateli, soit abattue à bout portant pour que l’on mette en cause un commando venu de Kigali à la demande du bourgmestre.

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2 Seul l’accès à toutes les archives éclairera la vraie politique de la France au Rwanda

Voici un an, alors que Louise Mushikiwabo était nommée à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie, on avait pu croire que les relations entre la France et le Rwanda allaient se normaliser et que viendraient l’heure de la vérité, le temps des excuses. Des espoirs prématurés : quoique invité, le président Macron ne viendra pas à Kigali et sera remplacé par Hervé Breville, d’origine rwandaise et militant de LRM. Par contre, à la veille de la commémoration du génocide, il devrait répondre à une demande de plus en plus pressante : l’ouverture des archives de l’Elysée, de la Défense et des Affaires étrangères. Mais qui aura accès à ces précieux documents : des chercheurs triés sur le volet et soigneusement dirigés vers des pistes balisées, ou des historiens travaillant en toute indépendance ?

Seule une ouverture complète permettrait de distinguer le vrai du faux, de savoir si la « main droite » de la France, la politique officielle que rappelle Hubert Védrine défenseur de la mémoire de François Mitterrand, était ou non en phase avec la « main gauche » c’est-à-dire une armée française qui soutenait ouvertement les extrémistes. Les documents de l’époque devraient faire le tri entre les véritables injonctions de l’Elysée ou les « électrons libres » dont parle Védrine et dont Guillaume Ancel nie catégoriquement l’existence « c‘est rigoureusement impossible ».

Nos deux interviews exclusives témoignent de l’âpreté du débat et aussi de la gravité de l’enjeu. En effet, l’ancien secrétaire général de l’Elysée assure que la France politique ne soutenait que la mise en œuvre des accords d’Arusha, soit une solution négociée, et cela afin d’éviter le pire. Pour lui le volet politique et le volet militaire allaient de pair, alors que les faits semblent démontrer le contraire. Si la deuxième hypothèse devait se confirmer, si des militaires agissaient en sens inverse des directives politiques, cela révélerait un sérieux problème de cohérence et de discipline.

Une hypothèse que Guillaume Ancel, officier, ayant participé à l’Opération Turquoise, dément absolument. L’ancien lieutenant colonel est devenu l’un des plus rudes pourfendeurs de la politique des années 90 et il réclame lui aussi l’accès total aux archives, afin que soit connue toute la vérité.

Car in fine, la seule question qui importe est de savoir à quel niveau le gouvernement intérimaire, alors qu’il orchestrait les tueries, disposait encore de soutiens du côté français, et à quel niveau. Il s’agit d’une question à la fois morale et judiciaire, et, à la limite, le temps importe peu : la complicité de génocide est un crime contre l’humanité, reconnu comme imprescriptible.

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3 Pour Hubert Védrine, la France a toujours défendu au Rwanda une solution négociée

Lorsque l’on retourne en arrière, au début des années 90, il apparaît que la France prend le relais de la Belgique, alors que le Rwanda ne présente guère d’intérêt économique ni même stratégique. Hubert Vedrine, qui fut porte-parole puis secrétaire général de l’Elysée a accepté, en exclusivité pour Le Soir, de revenir sur l’engagement, très controversé, de la France au Rwanda de 1990 à 1994.

Q/ Alors que François Mitterrand est l’un des rares, en France, à être informé des problèmes ethniques qui existent au Rwanda et qui ont déjà mené à des massacres, il décide, en 1990, de faire intervenir l’armée française afin de stopper l’offensive du Front patriotique rwandais. Pourquoi cette décision?

R/ Justement parce qu’il mesure aussitôt le risque. Cette décision initiale en 1990, n’est pas fondée sur une relation étroite, à l’instar de celle qui existait avec la Côte d’Ivoire ou le Sénégal. Le Rwanda n’était pas un enjeu économique ou stratégique. Ayant réétudié cette période, j’explique cet engagement par le fait que le Président de Mitterrand avait vécu les années 30 et a toujours réagi vigoureusement aux tentatives de changement de frontière ou d’interventions venues de l’extérieur pour changer un régime par la force. Il y a eu d’autres exemples que le Rwanda : alors que le Tchad était presque complètement passé sous influence libyenne, Mitterrand l’a fait reculer. A propos des Malouines, le président avait tout de suite pris position contre le coup de force argentin et après l’invasion du Koweit il était déterminé à en faire ressortir l’Irak.

Il me semble que Mitterrand a raisonné comme l’aurait fait de Gaulle : si un pays lié à la France, dans cette zone « transversale » de l’Afrique qui va du Sénégal à Djibouti n’est pas capable d’empêcher une « micro minorité » venue d’un pays voisin et appuyée par l’armée d’un pays voisin de déclencher une guerre civile pour prendre le pouvoir par la force (puisque électoralement ce n’était pas possible) et cela malgré la garantie de la France, alors cette garantie ne vaut plus rien. C’est la source vraie de l’engagement français. Il est possible que par la suite, des militaires, des diplomates, aient évoqué Fachoda, mais je ne crois pas que François Mitterrand ait raisonné ainsi, il pensait plutôt en termes de stabilité et de garantie.

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4 Guillaume Ancel: “le premier but de Turquoise était de prendre Kigali”

    “le Rwanda, Tchernobyl de nos interventions extérieures, mais la chape se fissure”

Sorti de Saint Cyr en 1965, spécialiste du guidage des frappes aériennes, « missilier » envoyé au Rwanda en 1994 lors de l’Opération Turquoise, Guillaume Ancel quitte l’armée française avec le rang de lieutenant colonel. Auteur de plusieurs ouvrages dont «Rwanda, la fin du silence» (Editions «Les Belles Lettres») et «Vent sombre sur le lac Kivu».

Q/ Est-il imaginable, dans l’armée française ou ailleurs, qu’après que les politiques aient pris une décision, les militaires fassent le contraire ?

R/ Après vingt ans dans l’armée de l’air, je pense que c’est rigoureusement impossible. Jamais je n’ai vu mes camarades prendre une décision à l’inverse de la décision politique. Cela n’existe pas. Au Rwanda, où la France a été extraordinairement présente depuis 1990 rien n’a pu être fait sans une décision politique. Le général Jean Varret, qui dirigeait la coopération militaire, s’est rendu plusieurs fois au Rwanda avant 94. Au retour, il a signalé à l’Elysée que l’on préparait des gens qui parlaient ouvertement de « solution finale ». L’amiral Lanxade l’a alors démis de ses fonctions en disant il n’avait rien compris à la politique de la France. Le général Quesnot, qui a remplacé Varret, a proposé, lui, une « stratégie indirecte » après avril 1994, un soutien qui n’apparaîtrait pas directement. Mais j’insiste : Quesnot ne peut rien décider, c’est à l’Elysée que cela se passe. Soit c’est le président qui décide, soit c’est son secrétaire général Hubert Védrine. Ce dernier est le directeur exécutif, il pilote les décisions de François Mitterrand et veille à ce qu’elles soient exécutées. Il n’est pas un notaire, un « passe plat ». Sa responsabilité est engagée. Dans la marge d’une note, il a écrit qu’il fallait livrer des armes aux génocidaires et on distingue clairement son paraphe…

Q/ En 1990, qu’est ce qui pousse le président Mitterrand à décider d’une intervention ?

Jusqu’aujourd’hui, on ne comprend pas ce qui a pu motiver l’Elysée à décider à bout de bras de soutenir un régime qui dérivait totalement… Il y a des faisceaux de raisons : le Rwanda se trouve aux frontières de la « Françafrique » zone d’expression francophone, particulièrement lie à la France et qu’il faut préserver face aux Anglais. Le pays est aussi un « porte avion » par rapport aux richesses de l’Est du Zaïre. S’y ajoute une sorte de néo colonialisme car la France se croit encore un peu propriétaire d’une partie de l’Afrique. Sans oublier une sorte de condescendance : on croit qu’on pourra facilement maîtriser ces « extrémistes hutus »… La réalité, c’est que ces derniers n’ont jamais cessé de nous manipuler, c’est eux qui nous « géraient »…

Quel fut le rôle de la DGSE, le service de renseignement extérieur ?

Ce service a remarquablement fait son travail :il a produit plusieurs notes destinées à l’Elysée, selon lesquelles la France risquait d’être accusée de complicité ! Le système d’information n’a pas failli, mais d’autres sources ont du interférer…Je me demande si, puisqu’on s’était fait battre dans tous les conflits insurrectionnels des années 60, un petit groupe de personnes n’a pas voulu démontrer que la France possédait encore la maitrise de la guerre insurrectionnelle…

Alors que les Belges nous avaient conseillé de ne pas intervenir, nous nous sommes précipités avec une arrogance toute française. Je le répète : en France, c’est toujours l’Elysée qui a piloté la politique africaine et à propos du Rwanda, il y avait un blanc seing présidentiel. En plus, il était impossible de se tromper : les extrémistes ont toujours dit clairement que leur objectif était de liquider les Tutsis. Dans les notes de l’Elysée, on parlait du « Tutsiland », de l’armée « tutsi » et non du FPR, des « Khmers noirs », un vocabulaire raciste.

Comment comprendre qu’après le 6 avril la France ait soutenu un groupe d’extrémistes dont l’objectif était de faire exploser les accords d’Arusha ?

Le gouvernement intérimaire, composé uniquement d’extrémistes, été formé le 8 avril dans les locaux de l’ambassade de France. Ces extrémistes ne vont jamais perdre le soutien de la France. Ils seront reçus à l’Elysée, on va leur donner des armes et même après ils seront abrités soutenus, défendus…

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Sent by Edouard Bustin

Algérie 2019 : une crise majeure

Le Président algérien Abdelaziz Bouteflika a rendu publique sa « démission » le 2 avril 2019, en réponse à une sommation du chef de l’armée lui enjoignant de mettre en œuvre immédiatement les dispositions de l’article 102 de la Constitution qui prévoit « l’empêchement » pour raison de santé. Quelques semaines plus tôt, M. Bouteflika était pourtant candidat à un cinquième mandat. Cette perspective a cependant provoqué une crise politique majeure dont les racines sont anciennes. Comment penser les facteurs structurels et les évènements conjoncturels ? Nadji Safir apporte ici de précieuses clés de lecture. Il présente successivement les faits les plus récents, le contexte d’un modèle bi-rentier (politique et énergétique) entré en crise et le rôle de la jeunesse.

LES grandes manifestations populaires dirigées contre le projet d’un cinquième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika – de fait, inscrit dans une logique de présidence à vie – qui se déroulent en Algérie depuis la mi-février 2019 constituent un tournant de toute première importance dans la vie politique du pays. En effet, c’est bien la première fois, depuis l’Indépendance nationale en 1962, que de tels rassemblements, regroupant au niveau national des millions de personnes, ont lieu dans tout le pays et ce, de manière pacifique. De fait, il s’agit d’un phénomène tout à fait nouveau consacrant l’irruption des citoyens qui comptent bien faire entendre leur voix et participer aux prises de décisions qui engagent leur avenir en occupant un espace public jusqu’alors particulièrement atone, car essentiellement dominé par des acteurs institutionnels très conventionnels et inscrits dans une problématique définie par un régime autoritaire. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

A priori, le refus d’un projet de cinquième mandat présidentiel tout à fait irréaliste

A priori, la protestation populaire s’est organisée contre le projet d’un cinquième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika puisque celui-ci, dans une lettre à la Nation, diffusée le 10 février 2019, a officiellement annoncé sa candidature à la Présidence de la République ; étant entendu que le scrutin présidentiel devait être organisé le 18 avril 2019. Or, depuis l’accident vasculaire cérébral dont il a été victime en avril 2013, son état de santé, gravement détérioré, ne lui permet plus d’exercer ses fonctions. D’ailleurs, il ne s’exprimait plus en public. Ses très rares apparitions ne font que confirmer son incapacité manifeste à assumer une charge publique aussi lourde que celle de Président de la République. Pour rappel, il convient de retenir qu’élu pour un premier mandat de cinq ans en avril 1999, il est réélu en 2004 puis – après une modification de la Constitution intervenue en 2008, faisant « sauter » le verrou limitant à deux le nombre de mandats pouvant être exercés par un Président de la République – en 2009 et 2014. 

Le quatrième mandat, intervenant après ses graves problèmes de santé et ayant été notablement caractérisé par une « campagne électorale » tout à fait exceptionnelle dont le « candidat favori » avait été totalement absent. Voici pourquoi le projet d’un cinquième mandat présidentiel 2014-2019 est immédiatement apparu aux yeux d’une très grande majorité de citoyens comme irréaliste, arrogant et donc, en tant que tel, totalement inacceptable. Et c’est ainsi que nous sommes en présence d’un très large consensus national autour d’un mot d’ordre simple, clair et net – « Non à un cinquième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika ». Le rejet de ce projet de cinquième mandat, déjà diffus depuis quelques mois, a donc fonctionné à partir de la mi-février 2019 comme un élément déclencheur d’un mouvement social dont les diverses formes de manifestation sont pratiquement devenues quotidiennes, avec systématiquement en point d’orgue celle, fortement symbolique, du vendredi.

Algérie, contestationSource : Wikipedia

Puis, émerge progressivement un rejet de plus en plus radical du système politique en place

Au départ, strictement limité au rejet du projet de cinquième mandat présidentiel, le large mouvement social initié évolue progressivement et se transforme en une revendication profondément politique et beaucoup plus radicale. En effet, face aux différentes réactions successives du pouvoir politique, systématiquement caractérisables comme relevant d’une analyse en termes de « trop peu, trop tard », en raison de leur préoccupation permanente de sauver, autant que faire se peut, les fondements du régime politique en place, le plafond des revendications du mouvement social ne cesse d’évoluer vers plus d’exigences. Pour finalement se transformer en une ferme revendication de départ définitif de tous les membres de l’élite politique au pouvoir depuis 1962 qui est systématiquement scandée en une formule lapidaire, exprimée en langue arabe populaire algérienne : « Tous doivent partir ». Tel que formulé, ce slogan d’inspiration « dégagiste [1] » signifie clairement que pour les acteurs les plus dynamiques du mouvement social engagé, il n’y aura de solution à la crise qu’en dehors des schémas institutionnels jusqu’alors prévalant dans le pays. Et qui, tous, à commencer par la Constitution, d’une manière ou d’une autre, supposent nécessairement la participation d’acteurs politiques ayant déjà fonctionné dans le cadre du régime politique existant. 

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Sent by Edouard Bustin